Auteur : Raphaël Bijard
Date : 2 Mai 2020
Keywords: Hugh Capet; Robert II the Pious; Bertha of Burgundy; French royal government (early Eleventh century); Odo I of Blois; Loire monasticism expansion bordering Parisian pagus; Melun siege (991); Montlhéry-Chevreuse lordship origins; Montmorency lordship origins; Montfort-l’Amaury lordship origins; Gometz lordship origins; Orsay battle (fl. 992); Ottonian empire and its relationship with western kingdoms of Burgundy and Francia; Onomastic enigma of the very first Simon; Dapifer title among the Nevers; Hodierna of Gometz and the Longpont cluniac priory; Dammartin county; Rochefort viscounty (Yvelines) ; Châteaufort (Yvelines) ; Broad-foot and Goose-foot Queen
Mots-clés : Hugues Capet ; Robert II le Pieux ; Berthe de Bourgogne ; Gouvernement royal (fin du Xe- début du XIe s.) ; Eudes Ier de Blois ; Monachisme ligérien en région parisienne ; Siège de Melun (991) ; Seigneurie de Montlhéry-Chevreuse (origines) ; Seigneurie de Montmorency (origines) ; Seigneurie de Montfort-l’Amaury (origines) ; Seigneurie de Gometz (origines) ; Bataille d’Orsay (fl. 992) ; Empire ottonien et royaumes occidentaux (Francie et Bourgogne) ; Énigme onomastique du premier Simon ; Les Nevers et le sénéchalat ; Hodierne de Gometz et le prieuré clunisien de Longpont ; Comté de Dammartin ; Vicomté de Rochefort (Yvelines) ; Châteaufort (Yvelines) ; Reine Pédauque
Avant la crise de 991 – contexte et prémices.
Melun et les événements de 991.
Les confins du comté de Chartres dans les Yvelines.
La vallée de Chevreuse.
Les Gometz.
La bataille d’Orsay (c. 992/93).
Les Montlhéry-Chevreuse.
La fin du conflit et le second mariage de Robert le Pieux.
Montfort-l’Amaury et le cas Simon Ier.
Le nouvel espace des Gometz chartrains.
L’origine niverno-bourguignonne de la branche des Gometz orientaux.
Le marqueur clunisien : le Prieuré de Longpont (sur Orge).
La nouvelle géopolitique à l’Est du domaine.
Une revisite du gouvernement royal au début du XIe siècle.
Versions et Révisions.
Bibliographie.
Stricto sensu le conflit qui oppose la toute nouvelle royauté capétienne au puissant Eudes Ier, comte notamment à Blois, Chartres, Tours et Provins, n’est pas le premier qu’ait à affronter Hugues Capet depuis son accession au trône en 987. Peu de temps après son couronnement, en effet une crise tout aussi grave fut provoquée par les revendications de Charles de Basse Lorraine, oncle du dernier roi carolingien, Louis V. Néanmoins celle-ci peut sur bien des aspects être rangée parmi les nombreux conflits qui opposèrent Robertiens et Carolingiens au Xe siècle.
Le conflit qui s’ouvre en 991 est celui où un roi capétien, avec ses fidèles et des princes territoriaux alliés, affronte une autre coalition de princes territoriaux. Schéma que l’on retrouve au cours des XIe et XIIe siècle. Dans ce conflit il n’y a plus l’équivalent d’un duc des Francs trop souvent en rivalité avec la royauté carolingienne mimant à bien des égards la situation compliquée entre maire du palais et royauté mérovingienne à la fin de la précédente dynastie.
Cette idée fondamentale, dans les mentalités de l’époque, de l’existence d’un haut dignitaire, second après le roi, est d’ailleurs un des enjeux de cette guerre – véritablement charnière – puisque on y voit Eudes Ier avec l’ambition de donner au titre qu’il porte de « comte palatin » le poids et la puissance nécessaire pour intervenir dans le gouvernement et les affaires du royaume et reconstituer à son profit le binôme qui a souvent caractérisé la royauté franque.
Hugues Capet ne s’y est pas trompé, la rapidité et l’efficacité de sa réaction au début du conflit à Melun puis lors de l’affaire de Laon, traduisent sa perception aigüe de la menace de voir se créer un avatar de la fonction de major domus – fossoyeuse habituelle de dynastie. Devenu roi, il intègre à son nouveau titre celui du dux Francorum qu’il portait auparavant, prenant soin de ne pas renforcer celui de comte palatin tenu par les Herbertiens/Thibaldiens depuis la fin des années 960 avec Herbert III.
Cette posture fut, avec le fait d’avoir fait couronner par anticipation son fils Robert II, dès Noël 987, un élément marquant pour la sauvegarde de la jeune dynastie.
Une autre particularité du conflit qui va s’ouvrir en 991 est qu’il touche au cœur du domaine royal. Il faut remonter à 978, pour observer une guerre qui touche à cette région dont l’axe Senlis - Paris - Étampes - Orléans constitue l’épine dorsale.
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Les événements de 978 et l’émergence de lignages de miles franciliens
En 978, pour se venger du raid que fit le roi carolingien Lothaire à Aix-la-Chapelle, l’empereur Otton II envahit le royaume des Francs de l’Ouest. Après la région de Reims, il se dirige avec son ost vers celle de Paris, pénétrant donc dans le domaine du duc des Francs Hugues Capet qui avait pris fait et cause pour son suzerain Lothaire. Ce roi et la reine Emma avaient d’ailleurs fuient Laon pour se réfugier dans un château du Robertien, à Dourdan.
Le duc et certains de ses vassaux défendirent vaillamment Paris où l’Empereur ne put pénétrer. Otton II finit par abandonner ce siège pour rebrousser chemin.
Hugues Capet fut le grand gagnant au sortir de cette guerre. Il regagna une certaine influence à la cour royale carolingienne et obtint de récupérer le port fortifié de Montreuil-sur-Mer. Ces événements eurent également un impact sur ses propres fidèles franciliens.
Si nous interprétons correctement la chronique de Richer[1], en remerciement de son action lors de cette invasion impériale, un Yves (premier du nom) fut investi de la garde du château ducale de Beaumont sur Oise. Ce miles (chevalier et vassal) d’Hugues Capet en 978, serait ainsi l’aïeul du premier comte de Beaumont-sur-Oise, attesté au plus tard en 1022[2].
Mais ce premier Yves cité était déjà probablement à la tête du comté carolingien contigu de Chambly. Beaumont est donc devenue une ces châtellenies où fusionnent un ancien centre de pouvoir public carolingien – lieu progressivement dépossédé de cette prérogative - et un site à fonction militaire où s’opère une délégation du pouvoir royal ou comme ici ducal.
Les Beaumont-sur-Oise deviendront sous les premiers Capétiens des officiers royaux fidèles qui outre le verrou de l’Oise sur la route Paris-Beauvais se verront confié celui de sa confluence avec la Seine (actuelle Conflans-Sainte-Honorine).
D’autres protagonistes déjà présents avant l’avènement de 987 vont émerger un peu plus au sein de l’entourage ducal, qui mécaniquement deviendra entourage royal moins d’une décennie après.
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Bouchard le Vénérable
Bouchard de Vendôme ou Bouchard le Vénérable est plus qu’un fidèle pour le duc Hugues Capet. Il a été confié tout jeune à son père Hugues le Grand pour y être éduqué.
Quand Hugues Capet souhaite mettre les places fortes de Corbeil et de Melun sous le contrôle d'un fidèle, il songe à son « frère ». Ainsi, au plus tard en 973 il marie Bouchard à Élisabeth Le Riche, veuve d'Haimon, comte de Corbeil.
Bouchard devient donc le nouveau comte de Corbeil et plus tard Hugues Capet, son suzerain, lui donne la garde des comtés de Melun ainsi que le comitatus ou comté de Paris et l’avouerie de l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés.
Comme les Yves pour la basse vallée de l’Oise, Bouchard se trouve en situation de contrôle des fleuves en amont de Paris : la Seine mais aussi des affluents, comme l’Essonne jusqu’au point fortifié de la Ferté-Alais, ou la basse Marne. Pour les Robertiens, la sécurisation de l’axe Paris-Corbeil-Melun-Sens-Auxerre est primordiale dans le contexte des années 970/980. C’est la voie de circulation entre le cœur du domaine du duc des Francs et celui d’un autre duc robertien, son frère, Eudes-Henri, à la tête du duché de Bourgogne, et siégeant le plus souvent à Auxerre.
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Le Hennuyer
Régnier IV, fils de Régnier III de Hainaut, fut prétendant au comté du Hainaut dès 973. Il était encore adolescent quand son père fut exilé vers 958, et il se réfugia à la cour de Laon avec sa famille. Là ils servirent les intérêts du roi carolingien Lothaire. En 973, avec son frère Lambert, il mena une expédition sur le Hainaut et commença à le réoccuper, néanmoins l'empereur Otton II finit par le repousser. A partir de 976, la situation dégénère. Régnier IV, aidé de Charles, frère du roi Lothaire et du comte de Vermandois, attaque les nouveaux comtes de Hainaut, nommés par l’empereur. Otton II, pour contrecarrer la menace, accorde à Charles le duché de Basse-Lotharingie.
Nous avons peu d’éléments sur les autres membres de la famille ou de la suite du comte de Hainaut exilé. L’invasion de 978, fut l’occasion pour certains d’entre eux, restés à Laon, d’apporter aide et conseil au roi mais aussi au duc. Le premier ancêtre connu des Montfort est Guillaume du Hainaut (le Hennuyer pour reprendre l’expression d’Orderic Vital[3]). Son inféodation le placera dans l’ancien pagus de Madrie. Ce pagus est très difficile à décrire. Il ne possédait aucun lieu d’habitat de première importance (civitas, centre urbain ou oppidum majeur).
Effectuons une analogie avec un autre pagus qui lui aussi ne possède aucune agglomération importante et qui a fait l’objet d’un démembrement par les Robertiens : c’est celui du Corbonnais. Corbon, son centre administratif a toujours été de taille modeste. Après le conflit de 960 entre Normands et Blois-Chartres, il fut décomposé entre trois centres de pouvoir : Bellême, la Ferté-Bernard et Corbon. Attardons-nous sur le premier, car il est en soi exemplaire.
L’ancien point de fixation et d’habitat était la commune actuelle du Vieux Bellême : domaine fiscal, relais pour chevaux et voyageurs caractéristique de l’époque mérovingienne, et possédant un oratoire dédié à saint Martin. C’est surtout une zone carrefour encore sous autorité robertienne, enfoncée comme un coin entre trois grandes principautés : la Normandie, Blois-Chartres et le Maine. Au nord, du Vieux Bellême, la route de Corbon rejoint la grande route venant d’Evreux par Mortagne-au-Perche, au sud cette route principale va au Mans. Une bifurcation part vers le Saosnois et une autre rejoint la grande route Chartres-Le Mans près de Nogent. En récompense de son rôle dans le conflit de 960, la seigneurie de Bellême est alors constituée à partir du Corbonnais pour Yves l’Ancien (anthroponyme que nous avons déjà rencontré), par le jeune duc Hugues Capet, pour faire face à l’influence du comte de Chartres et de Blois. Cette famille eut l’autorisation d’ériger une première fortification à l’écart du carrefour et de son vicus sur une éminence[4]. On peut encore observer que la petite commune de Bellême (la Neuve) est comme un alleu détaché d’un plus grand domaine constitué des communes actuelles de Saint-Martin-du-Vieux-Bellême et Le-Gué-de-la-Chaîne.
L’ancien pagus de Madrie est démembré depuis la constitution du comté de Rouen pour les Normands de la Seine en 911/13 : ces derniers en récupèrent la partie ouest, les comtes de Vexin restent présents au nord autour de Meulan, les Herbertiens qui furent aussi à la tête du pagus ont des biens au nord-ouest vers Mantes qui serait la capitale économique du pagus. Lietgarde qui épousera successivement le jarl normand Guillaume Longue-Epée puis Thibaud Ier de Blois y gardera un rôle actif ; les Robertiens, sans que l’on sache comment en ont récupéré la pointe sud, avec l’axe de circulation de Pontgouin aux rives drouaises de l’Eure, et au-dessous toute la forêt d’Yvelines. La potestas (pôté) de Méré (qui a peut-être donné son nom au pagus) a bien les caractéristiques d’un ancien centre du fisc, à la croisée des voies Paris-Dreux et Orléans-Beauvais. Son administration sera confiée à des fidèles, sans que les rois y perdent leur influence (donations locales à l’abbaye parisienne de Saint-Magloire).
Guillaume de Hainaut, homme des Robertiens, premier seigneur connu de Montfort apparait d’abord comme l’héritier des tenants de fonctions publiques d’une subdivision importante du Madrie. Les autres piliers de son pouvoir seront l’avouerie d’une partie des terres de l’abbaye de Saint-Germain dans cette zone puis, avant la fin du siècle, l’autorisation insigne d’élever une fortification dans l’endroit le plus propice, proche de Méré, le futur site de Montfort-l’Amaury, suivant un mécanisme similaire à celui qui s’est déroulé à Bellême.
Revenons à l’année 978, où nous allons faire maintenant un focus particulier sur l’origine des Montlhéry-Montmorency sujet souvent à controverse. Pour la seconde moitié du Xe siècle, nous devrions d’ailleurs les appeler les Burchards de Bray.
[1] Richer, III, ch. 69
[2] RHGF, X, p. 605
[3] Vital, Vol. III, Liber VII, XIV (Guillelmi Hanoensis)
[4] Louise, 1989
Le destin célèbre de la branche des Montmorency fait que l’historiographie les concernant a souvent été biaisée, volontairement ou pas, conduisant parfois à des anachronismes ou à des contre-sens.
Elle commence avec André Du Chesne[1] qui a mis en exergue le lien entre Montmorency, Montlhéry et Bray-sur-Seine. Si cet ouvrage a été naturellement critiqué par la suite à l’époque moderne, les grandes lignes sur l’origine de cette famille posée par le célèbre savant et généalogiste n’ont jamais pu être réellement remise en cause par les faits. Des éléments ont même au fil du temps consolidé son hypothèse d’une origine commune aux trois seigneuries. Et nous allons tenter d’éclaircir une partie des zones d’ombre qui demeurent.
Bray-sur-Seine est située aux confins du comté de Sens et de celui de Provins. C’est un poste frontière au franchissement de la Seine. Au Xe siècle il était sous suzeraineté de l'archevêque de Sens ; et la famille des Aubry-Gautier, à la tête du diocèse, réussirent à le confier à un l’un de leur proche au milieu de ce siècle, Bouchard. Cette investiture dut être contestée dès l’origine par les Bosonides, acteurs politiques principaux à Troyes et à Sens quelques décennies plus tôt. Et c’est l’un d’eux, Boson, qui profitant vraisemblablement de l’invasion du royaume par Otton II en 978, incendia le bourg et reprit le château, situé sur une île de la Seine. Le premier Bouchard disparait en tout cas alors des sources et sa veuve Hildegarde se résolut à demander le soutien du comte Renard Ier de Sens. La position ambivalente en général dans ce conflit du comte Eudes Ier de Blois, neveu supposé d’Hildegarde, sera cause du rapprochement des fils de Bouchard – Thibaut et Bouchard fils – avec le duc des Francs Hugues Capet.
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Un faux de Lothaire instructif
Le premier Bouchard fonda un prieuré dédié au saint Sauveur au nord de la Seine. La chronique sénonaise[2] raconte qu’il y a déposé vers 958 des reliques de saint Paterne (qui fut moine à Saint-Pierre-le-Vif de Sens) et de saint Pavace (troisième évêque du Mans). A l’issue du conflit avec Boson, Renard de Sens exerça une sorte de « droit de dépouille » sur le site castral de Bray mais aussi sur le prieuré puisqu’il en rapatria les reliques dans sa tour maîtresse à Sens.
Jules Depoin[3] lorsqu’il étudia un faux diplôme de Lothaire a montré qu’il fut forgé pour bonifier l’ascendance des seigneurs de Montmorency : en attribuant un titre de « duc » fictif à Aubry/ Albéric, père de Bouchard, en laissant entendre une certaine parenté avec le roi d’Angleterre. En revanche les liens de fidélité avec les Robertiens ou familiaux avec les Thibaldiens sont passés sous silence dans ce diplôme.
Même si l’acte est à rejeter, il démontre de manière indirect le lien entre Bray et Montmorency (et donc aussi Montlhéry). Mieux, si nous l’analysons avec minutie, ayant gratté au préalable le vernis apocryphe, il va nous confirmer les liens de parenté entre Bouchard de Bray et les Thibaldiens.
Thibaud le Tricheur, comte de Blois avait épousé Lietgarde de Vermandois. Celle-ci avait dans sa dot notamment le comté de Provins. Ils eurent comme enfants Thibaud (mais qui mourra avant 962), Eudes, Emma et, suivant l’hypothèse de Du Chesne, Hildegarde. Revenons à notre diplôme : il cite un Thibaud, seigneur de Centumliis, frère de Bouchard ou d’Hildegarde. Les historiens qui ont cherché l’étymologie de Centumliis n’ont pas trouvé l’origine exacte de ce lieu et une part d’entre eux a mis cela sur le compte de la forgerie de l’acte. Mais l’investigation doit être plus locale :
[1] Du Chesne, 1624
[2] Courlon, in-8° 10
Sur ce fond de carte IGN, la ferme des Aulins voit se rencontrer les deux routes (jaune et rouge) venant de Jaulnes et de Bray : juste après le voyageur devait passer devant les Cent-Ormes, large retranchement fait de matériau léger comme on peut en rencontrer au Xe siècle. La terre de Saint-Sauveur-lès-Bray, elle, apparait comme issue du domaine initial de ce castrum provinois.
Ces rappels géopolitiques vont nous permettent de préciser les choses. Le douaire de Lietgarde a pu servir à ses enfants de diverses façons : en détachant une partie de celui-ci avec le prieuré Saint-Sauveur et les biens et droits qui lui sont attachés, on constituera la dot de sa fille Hildegarde. Et pour son fils aîné, le jeune Thibaud, en une sorte d’apanage, la gestion partielle du comté de Provins dont certaines des fortifications stratégiques comme les Cent-Ormes.
Le faux diplôme de Lothaire dévoile un fait réaliste lorsqu’il parle de l’investissement de Bouchard pour le prieuré du consentement de sa femme et du conseil de leur frère et beau-frère Thibaud, maître des lieux voisins. Et quand d’après une chronique sénonaise, le comte de Blois (ce serait alors Eudes Ier) exerce une pression sur Renard de Sens pour récupérer les reliques de Saint-Sauveur, c’est que ce dernier a outrepassé son ‘droit de dépouille’, le prieuré étant en terre provinoise et non sénonaise. Finalement Eudes Ier récupèrera l’essentiel des biens et des droits de Saint-Sauveur et unira ce prieuré à l’abbaye chartraine de Bonneval.
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Investiture des enfants de Bouchard de Bray
Les enfants d’Hildegarde sortent affaiblis par les événements de Bray-sur-Seine. C’est en montrant leur fidélité au duc des Francs Hugues Capet en 978 et au-delà, qu’ils vont pouvoir rebondir.
Attardons-nous, sur le cas du second Bouchard sur lequel nous ne reviendrons pas. En 869, pour empêcher les raids vikings qui remontent la Seine et ses affluents, l’empereur Charles le Chauve met en place un vaste réseau de fortifications (ponts, tours, enceintes). Pour l’abbaye de Saint-Denis qui est importante à ses yeux, cela se traduit par un certain nombre de mesures radicales : l’empereur remplace l’abbatiat régulier par un abbatiat laïc qu’il s’approprie ; le site de Saint-Denis est érigé en castellum doté d’un système défensif complexe (remparts et réseau de fossés) ; s’il délègue certaines fonctions logistiques aux membres du clergé abbatial, il crée une nouvelle dignité indépendante de l’abbaye, sorte de préfet militaire, en charge de la défense de l’extérieur du castellum. Ce majorem domus[2] comme le précise un acte est donc un maire du palais impérial dyonisien qui rapporte directement au souverain. Ses biens et ses droits sont à vocation militaire sans négliger le besoin économique de sa mission. Il y a en premier lieu l’île – aujourd’hui L’Ile-Saint-Denis – siège de la fortification principale et qui contrôle la navigation fluviale. Vient ensuite le faubourg Saint-Marcel, relais entre les îles et l’enceinte abbatiale, il contrôle l’ancienne route de Paris à Beauvais et à Rouen. Et l’ajout dans cette juridiction militaire, des collines boisés au nord du bourg, peut être perçu comme une extension du besoin de surveillance au-dessus de ces routes et de la boucle de la Seine. Nous n’en savons guère plus, sur ceux endossèrent cette charge à l’époque carolingienne. Et suivant la chronique dyonisienne, il y eu pour finir cet Hugues Basset dont la veuve fut unie à Bouchard.
Quand ce second Burchard de Bray prend possession des lieux, c’est bien un connaisseur des réalités des prélèvements économiques au niveau des carrefours routiers et fluviaux, connaissances issues de l’expérience paternel de Bray-sur-Seine. A la suite de cette période trouble de la fin du Xe siècle, il a jugé nécessaire de relever le niveau de ces taxes sur la circulation, ces droits de tonlieu et de voirie. Levée de bouclier des moines de Saint-Denis ! Ils dénoncent des « exactions » et un « brigandage » du nouveau seigneur laïc. Il est vrai que le commerce du bourg monastique est le premier affecté. Beaucoup de marchands arrivaient par le port en face de l’île ou par la route passant par le faubourg Saint-Marcel tous deux sous contrôle du châtelain. Plus encore à l’heure des grandes foires qui s’installaient dans la plaine du Lendit. De là, un long procès qui durera jusqu’à la fin de la première décennie[3] du XIe siècle. L’arbitrage du roi se traduira finalement par un double compromis. Les biens terriens inféodés à Bouchard ne changent pas mais le droit de fortification est déplacé depuis L’Île-Saint-Denis vers le secteur le plus au nord, avec au moins la butte de Montmorency (mais on pourrait ajouter Ecouen ou le Plessis-Bouchard) ; les coutumes fiscales sur les bords de la Seine ou à Saint-Marcel n’augmentent plus, charge à Bouchard et ses descendants de créer un autre pôle de développement économique autour des nouveaux points fortifiés et à en défricher le saltus qui les entoure.
Le plus important, c’est en tant qu’héritiers lointains d’un maire de la domus de Charles le Chauve, ils ont la prérogative d’accéder à la cour royale sans intermédiaire ou sans la médiation d’un évêque ou comte de Paris, ni celle de l’abbé de Saint-Denis dont ils restent les vassaux pour leur rôle militaire. C’est surtout par leur fidélité comme officier de la curia regis que les futurs Montmorency acquerront leur fortune. Néanmoins l’utilisation de ce dernier nom propre, pour le Xe siècle et même pour le tout début du XIe siècle, reste un anachronisme.
[1] Aimon, RHGF, Tome XI, p. 275
[2] Annales Bertiniani, p. 86
[3] Bedos, 1980
Eudes Ier est devenu le numéro deux théorique du royaume après la mort de son oncle Herbert II de Vermandois, frère de Lietgarde. Fidèle de Lothaire, il reçoit donc le titre de comte du palais et entend lui donner un rôle actif sous les deux derniers rois carolingiens. Le changement dynastique de 987 éteint cette prétention. Dans les faits c’est Bouchard de Vendôme, ami et fidèle de Hugues Capet, qui joue le rôle de numéro deux du gouvernement royal sans en porter le titre. Bouchard, devient donc pour Eudes un obstacle à écarter dans son ambitieux cursus.
Au début de l’année 991, Eudes Ier de Blois ne soutient plus le parti carolingien incarné par Charles de Basse-Lorraine. Il opère un ralliement de façade envers le nouveau roi Hugues Capet en échange du bénéfice de la place de Dreux. Cela s’intègre aussi dans une stratégie d’affaiblissement du capétien par son encerclement : à cet égard Dreux est une point relais entre ses possessions de Chartres et de Beauvais.
En juin 991, alors que le parti de Charles de Lotharingie a définitivement perdu, et profitant du concile de Verzy, le blésois s’empare de Melun, ce qui lui permet de rallier plus vite ses fiefs ligériens et champenois en évitant le contournement par ses terres en Sancerrois et en Sénonais méridional. Et il spolie de fait le premier conseiller du roi, Bouchard le Vénérable, tout en évitant le conflit frontal avec son suzerain. Cet honneur, le comte de Vendôme le maîtrisait peu et on rappellera qu’il fut un temps au Xe siècle une possession d’un aïeul herbertien d’Eudes. Melun constituait donc la cible parfaite obéissant au double-objectif stratégique du comte palatin.
Le Blésois corrompt le vicomte et châtelain du lieu, Gautier, « et sa femme » précise bien la Chronique Sénonaise. Le couple livre la place au comte. Après un simulacre destiné à faire accroire de la fidélité du vicomte à son seigneur précédent, Gautier est vite libéré et se voit investi par Eudes de la garde de Melun. Lui, ses milites et une garnison blésoise mette en défense l’île sur la Seine.
La réaction royale est très rapide, pour des raisons évoquées en introduction, il faut reprendre Melun. Hugues Capet peut lever un ost royal conséquent avec l’aide de Bouchard de Vendôme, du comte d’Anjou Foulque Nerra et du jarl normand Richard Ier qui sort de sa réserve, ayant des prétentions à Dreux. Cette réactivité et cette mobilisation autour du roi furent sous-estimées par le comte de Blois et de Chartres.
A l’été 991, se déroule un siège destructeur, profitant des méthodes des Normands et de leurs bateaux. Ceux-là pénétreront dans l’île fortifiée les premiers en abattant une poterne dissimulée dans la partie basse du rempart, donnant sur la Seine. Septembre 991 voit la fin des hostilités au moment où la garnison est capturée. Gautier et sa femme sont condamnés à la pendaison. On insiste sur la condamnation de celle-ci - pendue par les pieds et ayant subi de nombreux outrages. Cette insistance sur la femme de Gautier dans la plupart des récits tend à montrer que c’est par elle que vient la légitimité vicomtale sur le château de Melun. Elle serait l’héritière du gardien nommé ici par Hugues le Grand vers 945 quand il récupéra ce bénéfice des Herbertiens.Eudes Ier, qui était resté prudemment à l’écart de la ville avec le gros de ses troupes, doit repartir, en abandonnant sa garnison.
Le comte d’Anjou Foulques Nerra, de son côté, avait créé un second front en envahissant Châteaudun et Blois, allant jusqu’à incendier l’abbaye de Saint-Laumer. Sur la période 991/992, il parait logique de reprendre le récit de Richer et d’y placer la reprise en main d’Eudes Ier en Dunois et en Blésois et même sa contre-attaque sur les possessions angevines.
Puis nous appuyant sur la Vie (Vita) de Bouchard[1], nous situerions sur la période suivante (992/993) la bataille d’Orsay. D’ailleurs le roi en est absent car occupé en effet au même moment par l’affaire de Laon. Si Eudes Ier s’est esquivé de Melun en 991, la guerre se poursuivra pendant encore quatre ans, en particulier au début dans le sud de cette région parisienne qu’il nous faut analyser.
Observons d’abord la frontière nord-ouest du comté de Chartres au Xe siècle. Michel Roblin[1] a effectué des travaux sur la frontière hypothétique des cités d’origine gauloise, entre Carnutes d’une part Parisii et Sénons de l’autre. Cet ouvrage permet de prendre conscience de l’évolution du tracé des limites territoriales dans le temps et en fonction de leur nature.
Elles peuvent être mouvantes. Par exemple, le tracé de la frontière des juridictions religieuses entre le diocèse de Chartres et celui de Paris peut s’écarter de manière fréquente du tracé des anciennes frontières des civitates gallo-romaines. On en trouve plein d’exemples en Bretagne ou en Normandie. D’autre part, la juridiction comtale carolingienne tend à s’appuyer sur les frontières des anciennes civitates et ne connait pas les mêmes aléas.
Ainsi pour notre région, la dernière est le plus souvent plus à l’Est que la limite épiscopale : nous avons ainsi en partant du Sud, une juridiction civile chartraine qui, dans le diocèse de Paris englobe Bruyères-le-Châtel, Limours et tout le plateau qui l’entoure (dont Gometz-la-Ville). Plus au Nord, il englobe la haute vallée de l’Yvette mais n’inclurait pas Chevreuse. En continuant, elle passerait à côté de Versailles. Nous avons là des morceaux de territoire qui relèveraient ainsi du comte de Chartres mais qui religieusement sont rattachés à l’évêque de Paris, suffragant de l’archevêque de Sens.
Ensuite, au-dessus de la ligne Versailles-Neauphle, l’influence du comté de Chartres s’estompe. Si le Pincerais (région de Poissy) est bien une subdivision chartraine, ce pays a toujours été soumis à d’autres influences (comtes de Vexin, ducs des Francs, rois).
[1] Roblin, 1951
Fond de Carte : agence Foléa Gautier - atelier de l'Isthme – pour la Direction départementale des territoires des Yvelines.
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Un front pionnier du monachisme ligérien
Si on observe le plan ci-dessus, on rencontre un phénomène singulier sur cette frontière civile que nous avons tracée – l’importante présence d’établissements ligériens, c’est-à-dire des fondations dépendantes de grandes abbayes de la Loire sous influence blésoise.
L’abbaye Saint-Florent de Saumur est présente à
L’abbaye Saint-Pierre de Bourgueil est présente à
L’abbaye de Marmoutier est présente à
Toutes ces fondations ont aussi comme caractéristique remarquable de coller à cette ligne de démarcation qui marque les confins de l’influence des comtes de Chartres, Tours et Blois. Ce qui est surprenant c’est que sont privilégiées les abbayes de la Loire. En arrière de cette ligne, ce phénomène disparait soudainement et on retrouve en toute logique des établissements chartrains. Par exemple à Prunay-en-Yvelines et Gourville, en deçà de la grande forêt des Yvelines, on retrouve bien des dépendances de l’abbaye de Coulombs ou même de Saint-Père de Chartres si on remonte à l’époque de Lietgarde de Vermandois.
Toutes ces grandes abbayes ligériennes furent à un moment de leur histoire favorisées par les comtes de Blois. Elles connurent à tour de rôle leur période favorable avec une croissance en donations et en biens qui leur furent accordés.
Saint-Florent de Saumur d’abord, favorisé par Thibaud Ier de Blois dit le Tricheur (période d’expansion notable entre 952 et 973). Ce dernier s’est réconcilié avec son voisin Foulques II d’Anjou depuis 952. Installé à Saumur, Thibaud Ier va subrepticement faire de ce lieu une tête de pont fortifiée en Anjou. Il s’affiche d’abord comme un bienfaiteur et réinstalle ici les moines de Saint-Florent qui s’étaient réfugiés en Berry, et finira par élever un château.
Saint-Pierre de Bourgueil, favorisé par Emma, la fille de Thibaud le Tricheur, (période d’expansion notable à la fin du Xe siècle). Avant 977, des moines sont déjà établis à Bourgueil dans un prieuré. Les terres de Bourgueil font partie de la dot d’Emma lors de son mariage avec Guillaume le Grand d’Aquitaine. Mais, divers déboires conjugaux, suscités par les frasques du duc d’Aquitaine causèrent la séparation momentanée des époux et l’interruption de la fondation. Celle-ci parvint à son terme lors de leur réconciliation et, sur l’ordre d’Emma, une charte définitive de fondation fut rédigée en 990.
Enfin l’abbaye de Marmoutier, favorisé par le frère d’Emma, Eudes Ier puis son fils Eudes II qui en ont fait leur nécropole princière, (période d’expansion notable à partir de 996 et durant le premier tiers du XIe siècle). Berthe, qui sera veuve d’Eudes Ier et puis qui convolera avec le roi Robert II, en fait l’objet de tous les soins de son vivant, soutenue par ses enfants Thibaud, Eudes et Agnès.
Une première conclusion s’impose à ce stade, les confins du comté de Chartres dans ses franges nord et ouest qui sont peu ou prou celles de l’actuel département des Yvelines, sont l’expression d’un expansionnisme blésois. Il est religieux à ses débuts, quand les relations avec les Robertiens n’étaient pas encore dégradées. Or chacun de ces établissements suppose la présence de protecteurs laïcs pour la plupart fidèles au comte de Chartres et cet expansionnisme porte alors en soi une menace politique et même militaire qui peut se concrétiser en cas de conflit.
Par ailleurs, nous avons vu que les établissements les plus à l’ouest demeurent sous l’autorité épiscopale de Paris et on devine que cela a pu créer des imbroglios juridiques dont le conflit de 991 fut un catalyseur.
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Confirmations et reprises en main
Passons en revue les différentes interventions ou confirmations épiscopales mais aussi royales et papales, dont la densité fait que, là encore, ces établissements revêtent un caractère atypique.
Cela commence par les trois édifices de Chevreuse qui non seulement sont dans l’évêché de Paris mais à l’extérieur du comté de Chartres.
L’abbé Leboeuf cite une confirmation papale du dernier quart du XIe siècle à propos du prieuré Saint-Saturnin de Cavrosa. Cependant la source n’a pas pu être authentifiée et pose un problème de datation. Dès le XIe siècle, on peut identifier une relation d’inféodation des descendants de Thibaud File Étoupe et de Milon Ier de Chevreuse envers l’évêque de Paris pour les terres de Chevreuse. La tradition rapporte que les seigneurs de Chevreuse avaient le singulier privilège de porter sur leurs épaules l'évêque de Paris, le jour de son intronisation solennelle. Ces marques d’investitures soulignent le besoin pour l’Église parisienne d’une proximité renforcée avec la vallée de Chevreuse.
En 1064, le seigneur de Chevreuse, Gui Ier de Montlhéry, fit donation (ou restitution) des deux églises de Chevreuse à l'abbaye Saint-Pierre de Bourgueil.
Le document le plus ancien où se trouve consignée l’existence de l'église saint Rémy (de Chevreuse) est un titre original de l’abbaye angevine de saint Florent de Saumur, par lequel l’évêque parisien Geoffroy de Boulogne lui confirme cette église en 1070 - confirmation à Guillaume, abbé de Saint-Florent, de l'église de Bruyères,avec la chapelle du château, des deux églises, du château de Gometz... - attribution à nouveau réaffirmée en 1122 et 1186 par les bulles des papes Calixte II et Urbain III.
Cette même bulle du pape Calixte II de 1122, mentionne les églises de Saint-Rémy, Sainte-Marie de Saulx, et dans l’actuel Bruyères-le-Châtel : Saint-Didier de Bruyères, avec la chapelle Sainte-Marie.
Un acte du cartulaire de Saint-Florent de Saumur dont l’original serait de 1081, rappelle la possession par l’abbaye de l’église Saint-Clair de Gometz, en présence du seigneur Guillaume et de l’Eglise de Paris.
Calixte II en 1122, mentionna aussi l'église de Gometz-la-Ville avec également l'église Saint-Clair dans sa bulle "Ecclesiam de Gometio-Villa cum Ecclesia S. Clari".
Une autre charte de 1150, par laquelle Thibaud, évêque de Paris, confirme tous les dispositifs précédents faits à Saint-Florent pour Saint-Clair de Gometz et aux deux églises de Bruyères : « ecclesiam Sancti Desiderii de Brueriis, et capellam castelli » et à Saint-Rémy-de-Chevreuse « altare etiam Sancti Remigii, quod situm est juxta vicum qui dicitur Cabrosis ».
1170, deux autres bulles d'Innocent II et d'Eugène III, confirmant une série d'églises dont celles de Bruyères, Saint-Clair de Gometz-le-Château avec l'église Saint-Germain de Gometz-la-Ville, etc.
Les fondations de Châteaufort sont aussi confirmées par deux fois par le roi Philippe Ier, vers 1068. L’évêque de Paris confirma ce dispositif toujours en 1068/69. En 1105, Pascal II confirme cette cure à l’abbé Baudry de Bourgueil tout comme le prieuré de Palaiseau.
Châteaufort deviendra d’ailleurs un doyenné principal pour Paris
Notons enfin que les nouvelles inféodations en cette région sont faites à la fin du Xe par l’évêque de Paris, Renaud fils du comte Bouchard. Renaud a été nommé évêque en 991 juste après le concile de Saint-Basle de Verzy. La famille de Vendôme est bien celle qui a eu un rôle-clef dans la reprise en main des confins du diocèse parisien.
Les communes de Chevreuse et Saint-Rémy-lès-Chevreuse se situent encore aujourd’hui près d’une limite départementale, celle qui sépare l’Essonne des Yvelines. Elles sont nichées dans le Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse, sur les bords de l'Yvette, dans un vallon dont l’occupation est fort ancienne comme l’avait déjà démontré Auguste Moutié[1].
Les dédicaces Saint-Rémy, Saint-Saturnin et Saint-Martin en sont aussi une preuve. On peut les considérer comme des marqueurs d’édifice de culte ancien, à l’origine de dédicaces effectuées à l’époque mérovingienne pour l’essentiel. Rappelons que le vicus[2] de Chevreuse ne dépend pas du comté de Chartres.
Chevreuse est d’abord lié à Saint-Florent première vague d’implantation ligérienne. Cette fondation à Saint-Rémy pourrait même remonter à Hugues le Grand, avant 956, époque où Thibaud le Tricheur était encore le fidèle bras droit des Robertiens.
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Des Milonides
Les noms de Milon mais aussi de Guy qui apparaissent avec l’émergence de la seigneurie de Chevreuse renvoient à une famille connue de l’ère carolingienne, les Milonides. Ils apparaissent surtout à partir du Xe siècle, au nord de la province de Langres et en particulier à Tonnerre, on les voit aussi dans la province de Sens puis au sud de la province de Reims.
Et là, dans la moyenne vallée de la Marne ils avaient des intérêts car on trouve ce Milon Ier de Chevreuse physiquement présent à Epernay en 1034. On retrouvera des anthroponymes Milonides à Montfélix, Bazoches-sur-Vesles puis surtout à Châtillon-sur-Marne. On y relève les prénoms Milon, Guy voire Hugues. Ils ont des liens avec à la fois les Robertiens et les Herbertiens (donc les Blois). D’ailleurs, cette famille semble jouer un rôle de médiateur entre Herbertiens/Thibaldiens et Robertiens/Capétiens : celui-ci existe encore vers 1025, à la fin de la crise champenoise quand Milon joue le rôle d’intermédiaire entre le roi et le comte au sujet de l’affaire de la restauration du royaume d’Italie. Ce constat diplomatique explique de manière cohérente qu’ils purent être assez tôt les protecteurs laïcs d’une fondation ligérienne dans la vicairie de Chevreuse (dans le diocèse de Paris et la province de Sens) avant que ne se développe un expansionnisme plus oppressant des comtes de Blois qui défie le jeune Hugues Capet. Les fondations postérieures se feront désormais juste en-deçà de la frontière civile chartraine.
Les « viguiers » de Chevreuse devaient avoir leur maison forte près de l’église Saint-Saturnin. Le château de Chevreuse que nous voyons aujourd’hui du fait de sa position et de sa configuration n’est pas caractéristique de la fin du Xe siècle. Les différentes fouilles sur le site n’ont d’ailleurs rien trouvé d’antérieur aux années 1030.
Outre cette haute vallée de Chevreuse, les Milonides devaient avoir un rôle équivalent dans la vallée de la Bièvre (pays de Josas). Après leur fusion avec les Montlhéry, ils y ont une présence attestée, allant de Clamart à Villepreux. Le Hurepoix bas-médiéval fut composé de deux parties, le pays de Josas au nord-ouest, et le pays de Chastres (Châtre) dont le nom changea en Arpajon.
En tout cas, ce sont ici des miles de premier plan liés à Paris et à la vallée de la Marne. Ils côtoient d’autres miles de premier plan, les Burchards de Montlhéry d’origine sénonaise et de même suzerain direct. Les deux groupes ont en face à l’occident, des miles de premier plan liés à la vallée de la Loire et surtout au comté de Chartres, les Gometz.
[1] Moutié, 1876
[2] Le village de Chevreuse a un statut de vicus comme l’atteste un acte de 1150 : « altare etiam Sancti Remigii, quod situm est juxta vicum qui dicitur Cabrosis. » Il suppose la présence d’un administrateur laïc (ex. un viguier).
Implantée dans une région depuis longtemps défrichée et habitée, Gometz-la-Ville était une antique villa. Située sur l’ancienne route de Chartres, la villa puis le village se situe sur le plateau qui précède Limours. A côté, Gometz-le-Châtel commande un col par où l’on arrive au plateau, au fond de l’un des embranchements de la vallée de Chevreuse. Ce col de la voie antique situé sur la frontière civile fut propice à l’installation d’éléments caractéristiques d’une haute époque même s’ils sont plus tardifs que la villa gallo-romaine : un oratoire puis une église castrale et prieurale, un tonlieu, un poste de guet puis une fortification – dont on peut encore visiter la motte.
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Portrait-robot
Nous n’avons aucune trace des « premiers seigneurs » de ces lieux. Nous pouvons essayez de raisonner par analogie. Contrairement aux établissements religieux, les micro-pouvoirs laïcs placés « en marche » ont besoin d’une plus grande proximité géographique avec leur base arrière, ce qui permet d’entretenir les liens socio-familiaux dont ils sont dépendants. Et si on regarde derrière notre la ligne pionnière, vers Chartres, au-delà de la forêt, c’est dans la vallée de l’Eure que l’on peut trouver certains indices.
Cette vallée est d’ailleurs mieux documentée grâce aux cartulaires de Saint-Père et de Notre-Dame de Chartres, puis aux sources normandes. Prenons un exemple.
Lietgarde, comtesse de Chartres, qui avait épousé dans un premier temps le jarl Guillaume de Longue Epée, confia après le milieu du Xe siècle, un de ses domaines normands (Illiers-l'Evêque) à Avesgaud, miles chartrain, qui a sans doute aussi des intérêts à une journée de voyage vers Maintenon où on retrouvera cet anthroponyme. On y trouve aussi les noms de Germond (Ézy-sur-Eure) et Ursion/ Urson (Anet, Muzy) dans sa descendance avant l’arrivée de nouveaux anthroponymes - Simon et Mainier - provenant des Montfort.
Suivons la vallée de l’Eure plus au sud, et avant Chartres : on trouve notamment à Lèves, les patronymes Geoffroy et Gauzlin qui nous ramènent à une branche des Rorgonides que l’on trouve ailleurs en Chartrain ou en Dunois. Le nom Rorici comme Rericonis (1034) renvoie aussi à Roricon ou à Rorgon.
Nous retrouverons les noms de Geoffroy, Ursion et Rorici avec l’acte important de Bazainville (vers 1064) qui est le premier qu’on peut rattacher avec certitude aux Gometz.
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Garder « les cols »
Le site de Gometz-le-Châtel se caractérise donc à la fois comme poste frontière pour entrer dans la juridiction civile chartraine mais aussi comme position stratégique sur la route principale Orsay-Chartres à la rupture de pente entre le plateau et le vallon qui descend vers l’Yvette. Les détenteurs de cette position y ont donc un rôle primordial.
Si nous poursuivons l’investigation, nous allons voir que Gometz-le-Châtel n’est pas le seul « col » confié à la garde de cette même famille seigneuriale.
Les seigneurs de Gometz sont parfois associés à un autre toponyme : La Ferté. Des érudits comme Gustave Estournet[1] ont essayé de démontrer que ce nom renvoyait à la Ferté-Alais (parfois appelée la Ferté-Baudouin). Toutefois son argumentation comme ses montages généalogiques demeurent fragiles et pas toujours convaincants. Avant le mariage de Guy le Rouge de Rochefort dans les années 1070, absolument rien ne rattache cet honneur avec le patrimoine des Gometz.
Reprenons les faits. De manière précise le terme Feritate apparait trois fois associé au nom Gometz.
Le mot Feritate apparait toujours isolé. Pour la Ferté-Alais on trouvera plus souvent Firmitas + complément du nom. Surtout la Ferté-Alais est bien trop loin de notre frontière du Xe siècle décrite auparavant pour offrir une cohérence géopolitique à l’implantation initiale des Gometz.
Il existe en revanche un autre lieu-dit qui se trouve sur notre ligne de démarcation : la Ferté-Choisel (aujourd’hui hameau de la Ferté dans la commune de Choisel).
Comme Gometz-le-Châtel, ce site est situé sur une route (secondaire ici) qui quitte la haute vallée de la Chevreuse par un affluent de l’Yvette, pour rejoindre la route de Chartres par Rambouillet. Le site occupe aussi un éperon dans une zone frontière.
Ce site méconnu sur le plan archéologique est bien un fief fortifié comme son étymologie l’atteste. Ce que confirment de nombreuses sources même si elles sont plus tardives. La Ferté en tant que fief fortifié est attestée dans les sources au plus tard en 1290. En 1485, Colard de Chevreuse, seigneur de Chevreuse est cité avec un vassal qui tient de lui les fiefs de Beufvilliers, du Boucq et de la Ferté. En 1526, dans une même liste de dépendance entre un chevalier et la seigneurie de Chevreuse, sont cités : 40 arpents de landes et pâturages audit lieu pendant sur le village et château de la Ferté.
Surtout, cette ferté est bien originellement en dehors de la juridiction des Montlhéry-Chevreuse car ces derniers sont cités à partir du XIIe siècle comme vassaux de ceux de Montfort pour La Ferté-Choisel. Il semble qu’après la fin du Xe siècle et le recul de l’influence des Gometz, les Montlhéry-Chevreuse ait accru leur influence dans le chartrain, mais là, ils ne seront jamais les seigneurs dominants. Ils seront aussi feudataires des Montfort pour l’Etang de Hautlevé près de Rambouillet. Et dans la partie la plus haute de la vallée de Chevreuse, d’après Suger, pour le Mesnil-Saint-Denis, ils en partagent la taille avec deux autres seigneuries dont celles de Neauphle.
Châteaufort, sous influence des Gometz, contrôle aussi un col mais nous reviendrons en détail sur ce site particulier à plusieurs égards. Souvent associé à Châteaufort, citons pour finir Versailles, lieu de passage dans les marais.
[1] Estournet, 1911
Après les événements de Melun, s’ensuit un long conflit qui ne finira qu’avec la mort du comte Eudes Ier en mars 996. Les chroniques ne citent que les événements majeurs de ce conflit. Deux sièges : au début, celui de Melun, qui voit la ville reprise par le roi et son allié Normand et celui de Langeais qui précède le dénouement de cette guerre ; deux batailles : celle de Conquereuil où Foulques Nerra met fin au front qui s’est formé en Basse-Loire et celle d’Orsay qui oppose Bouchard de Corbeil et Eudes Ier. Il y a à côté bien d’autres opérations belliqueuses dans toutes les zones où ces adversaires ou leurs alliés étaient voisins : Pithiviers et le Gâtinais, la future Brie, Dreux, le sud-est du Vendômois, etc.
Néanmoins Gometz-Bures-Orsay, épicentre de ces lignes de tension va donc faire l’objet d’une de ces rares batailles rangées. C’est pour cela qu’elle apparait « sanglante » dans la Vita d’Eudes de Saint-Maur[1].
A l’époque, pas de grands mouvements tactiques, les troupes suivent une antique route et s’affrontent en un lieu pouvant être symbolique - comme près d’une frontière - les notions de confins ou de marges étant très importantes alors. Evoquons la bataille contemporaine de Conquereuil qui se déroula le 27 juin 992 entre Foulques Nerra et Conan de Bretagne et vit la victoire décisive du comte d’Anjou. Là, la rivière Don est l’ancienne limite entre le pagus de Nantes et celui de Rennes. Et la voie romaine qui passait par là est encore visible aujourd’hui dans la commune de Pont-Veix. Il y eut déjà une bataille à Conquereuil en 961 entre Nantais et Rennais. Pour cette seconde bataille, une des deux armées (ici les bretons), arrive en premier, choisit un lieu propice à l’écart de la route et la met en défense à son avantage. Les angevins les rejoignent, acceptent la bataille, et la victoire, ici pour Foulques Nerra, elle, sera décisive pour la suite du conflit comme pour l’ascension du comte angevin[2].
En 992/93, le village d’Orsay est cité dans la Vita, manuscrit d’Eudes, moine de Saint-Maur-des-Fossés, qui relate cet événement décisif pour son héros Bouchard Ier, comte de Corbeil, fidèle d’Hugues Capet. Après le siège de Melun, il doit rameuter des contingents de fidèles, pour chasser le comte de Chartres du sud-est parisien, il faut libérer la route de Paris à Chartres de la menace que fait peser les miles chartrains fidèles au blésois. Quant à Eudes Ier, il revient sur le front francilien, heureux de pouvoir affronter directement son compétiteur, sans l’aide des rois (occupés par les événements de Laon) ni d’autres princes territoriaux.
Des traditions locales divergentes tentent de situer le lieu de cette bataille. Elles ont un point commun, elles le placent au sud de l’antique voie de circulation, ce qui fait bénéficier de la pente du coteau le premier des adversaires qui y campent. Et d’après la Vita, ce serait Bouchard si l’on en croit la scène suivante : Ermenfroi, vicomte de Corbeil, prête un hommage attendu envers Bouchard le Vénérable sur ce champ de bataille et reçoit en retour la confirmation de son fief de Lisses. Après l’affaire de Melun, cela montre qu’en val de Seine, Bouchard avait moins de prises sur ses vassaux qu’en Vendômois et des cérémonies de ce type furent nécessaires pour affermir son autorité dans l’ancien grand comté Parisiacus. Et même au-delà, il dut nouer des alliances, puisqu’il n’hésita pas à demander de l’aide au comte du Gâtinais en échange de deux domaines relevant du Chapitre parisien à Echilleuses et à Boësses.
Eudes Ier est arrivé par la route principale en venant de Chartres et peut stationner à Gometz, chez son vassal. Avant l’affrontement, chacun aura pu marquer un temps d’arrêt de part et d’autre de la frontière civile.
Le comte de Blois sera finalement mis en déroute dans cet affrontement dépeint par le moine comme une ordalie ‘grand format’. Pour les protagonistes comme pour les témoins des événements, un jugement divin a été rendu en faveur de Bouchard et Eudes doit encore quitter piteusement le champ de bataille.
Après cette victoire décisive, sous l’autorité des rois, le comte Melun et de Corbeil avec son fils Renaud, évêque de Paris, vont amorcer cette reprise en main du Sud parisien. Nous en avons perçu les impacts politiques sur certains établissements religieux. Nous en verrons d’autres.
[1] Vita, pp. 18-20
[2] Bachrach, 1993.
Les événements des années 990 sont généralement tenus pour une cause essentielle qui permit l’autorisation royale pour l’édification de nouvelles fortifications. C’est en particulier le cas pour Thibaud File-Etoupe avec le château de Montlhéry sur une période qui engloberait deux décennies : 995-1015. Ici aussi, nous trouvons une forme de dédoublement d’avec la capitale du pagus qu’était Arpajon (Châtre). Toutefois, à Montlhéry, nous restons près de la route Paris-Orléans, et si la position du nouveau château est relativement éloignée au nord par rapport à Arpajon, elle est plus centrée par rapport au territoire du pagus et surtout elle permet un accès beaucoup plus facile à la vallée de Chevreuse et à ses affluents.
La première motte castrale n’était pas située là où s’admire encore aujourd’hui la Tour de Montlhéry. Elle se situe au nord-est par rapport à celle-ci et à mi-pente de la colline qui porte le château actuel. Cette première motte est maintenant envahie par la végétation. Elle a une base de forme ovale dont les axes ont des dimensions de 30 et 25 mètres.
Rappelons que Thibault est également qualifié de forestier ou gruyer : il a en charge la gestion et la surveillance d’un massif forestier d’origine public. Et ce sont les ducs des Francs qui ont récupéré cette responsabilité pour la grande forêt d’Yveline. Néanmoins de nombreuses parcelles avaient été données par les rois mérovingiens ou carolingiens à deux grandes abbayes : Saint-Denis et Saint-Germain à Paris. Par ailleurs, on connait un peu mieux le fait que la famille des Montfort tiendra une charge de forestier dans les Yvelines et qu’ils opèrent à partir de Saint-Léger. En fait, ils récupèrent cette charge en 1008 au décès du comte palatin Hugues de Beauvais. Dès lors peut-il y avoir deux fonctions de gruyer au sein d’un même massif forestier ? La réponse est affirmative si nous prenons en compte une fois encore la limite juridique entre cité de Chartres et cité de Paris : elle coupe la forêt d’Yveline, le morceau le plus conséquent étant côté chartrain mais, côté parisien, n’oublions pas qu’à l’époque les Yvelines allaient jusqu’aux portes de la ville de Châtre/ Arpajon.
La Continuation d’Aimoin, recopiée environ 175 ans après les événements, n’est pas plus fiable sur la descendance de ce Thibaud que sur celle du premier Montfort. Pour faire la liaison avec Milon de Montlhéry, personnage attesté qui suit, les auteurs les plus sérieux[1] le rapprochent du premier Milon de Chevreuse, faisant de ce dernier le gendre plausible de Thibaud.
Nous l’avons déjà rencontré chez Fulbert de Chartres (Carnotensis Epistolae)[2] vers 1025 (affaires d’Italie et d’Aquitaine) « ... in suum nocumentum, sed mittas ad eum Milonem de Caprosis (Chevreuse), qui tibi referat verba Romanorum, et Guillelmi ducis Aquitanorum, et sua. »
Puis on le voit en février 1031 : le roi Robert II confirme une donation concernant les Osmeaux pour le comte Manassès de Dammartin en faveur de Notre-Dame de Chartres signée par "…Manasses comitis, Hilduini comitis fratris eius, filorum eius Manassis et Hilduini, Burcardo de Montemorenciaco, Evrardi filii Hilduini de Britoglio, Amalrici de Monteforti, Milonis de Caprosa …"
Rappelons qu’au début du XIe siècle, la terre de Chevreuse est définitivement inféodée par l'évêque de Paris (sans doute Renaud de Vendôme) aux seigneurs de Chevreuse, avec des marques d’investitures soulignant la « reprise en main » du diocèse parisien. Après la disparition de Thibaud, beau-père putatif de Milon et d’éventuels autres prétendants à la seigneurie, Milon change de surnom.
A Epernay vers 1038 : “...Milonis de Monte Leutherio...” souscrit une charte auprès des comtes de Troyes et de Blois pour des biens dans la province d’Amiens. Ce qui montre ici aussi le maintien des bonnes relations avec la famille comtale, peu après le décès d’Eudes II de Blois.
En 1043, Milon, seigneur de Montlhéry, intervint comme suzerain à Saint-Vrain, en compagnie de ses deux fils, Guy et Hugues, « assensu senioris nostri Milonis et filiorum ejus Guidonis atque Hugonis... » ; Signataires « … S. Milonis senioris de Monteletherico, S. Guidonis et Hugonis ».
Dans un contexte bléso-chartrain, on le devine encore vivant : "…Hugone filio Milonis de Monte Lehirico…" témoin d’un acte [après 1044] cité dans le Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois et sur lequel nous reviendrons.
Et vers 1057, Milon et son fils Guy assistèrent à une donation faite au même prieuré de Saint-Vrain déjà cité par le fils du fondateur, S. Milonis, S. Widonis filii ejus.
Nous noterons que le seigneur de Chevreuse considère son union hypothétique avec les Burchards de Montlhéry comme iso-gamique au vu du choix des prénoms : Milon, Guy, Hugues. L’aîné des héritiers, Guy Ier de Montlhéry, récupère non seulement le pagus de Châtre-Montlhéry mais aussi la vicairie de Josas et celle de Chevreuse et une partie de Châteaufort. Le reste de ses biens seront acquis par mariage. Guy Ier mourra en juillet 1095, enterré à l’abbaye de Longpont qu’il aura fondée en 1061 et aura enrichie avec son épouse Hodierne.
En 1064, c’est en tant que seigneur de Chevreuse, que nous l’avons vu autoriser la restauration et la restitution des deux églises de Chevreuse à l'abbaye Saint-Pierre de Bourgueil-en-Vallée "pour la rémission de ses péchés et pour le remède des âmes de son père et de sa mère".
Son frère cadet est Hugues qui reçoit une partie de la châtellenie de Châteaufort. En 1044/45, nous l’avons vu en Beauce, quand il était d’abord cité en tant que Hugues fils de Milon de Montlhéry. Cela change dans les actes suivants : “...Hugonis Rufi de Castroforti...” souscrivit la fameuse charte de Bazainville [en 1064, refaite vers 1075] où Philippe Ier confirme que “Gauffredus sæculari miliciæ manicaptus... ” fit don de l’église de Bazainville à Marmoutier. Une charte non datée enregistre un accord à Notre-Dame de Longpont avec "Hugonem de Castro Forti cognomento Cadaver" permettant de régler un contentieux. Suivant un acte dont l’authenticité n’est pas confirmée, ce serait Hugues que l’on retrouve à Versailles comme "Hugo de Versaliis". Nous retrouverons plus bas un lien entre Versailles et Châteaufort avec Amaury de Châteaufort. Ce dernier d’ailleurs, par la charte de 1068, confirmée en 1074, où il fit approuver par le roi la remise des églises de Châteaufort à Bourgueil, on retrouve bien l’approbation de "domni Widonis...simulque domni Hugonis” soit celle de Guy Ier de Montlhéry et de (son frère) Hugues.
[1] Par exemple, Civel, 2006
[2] Fulbertus, Epistola LXXXV
A l’ouest à la suite de la victoire de Conquereuil, le comte d’Anjou prend l’ascendant et étend sa zone d’influence dans la région, ce qui va susciter de nouvelles inquiétudes. La bataille d’Orsay est le pendant de Conquereuil dans le sud parisien.
Et Hugues Capet et son fils Robert, autour de l’année 993, furent occupés par une autre affaire : une tentative de complot par Ascelin, évêque de Laon, qui embarquerait Eudes Ier mais aussi l’Empire ottonien.
Ascelin de Laon le ‘vieux traitre’ est empreint d’une idéologie qui le classe parmi les nostalgiques de la grandeur carolingienne et il a par ailleurs un esprit très structuré : dans son Poème au roi Robert (Carmen ad Rotbertum regem), écrit dans sa vieillesse, il incitera le roi à exercer une potestas faite de sagesse et de justice pour faire régner l’harmonie entre les trois fonctions de la société. Il y formule donc, l'un des premiers au seuil du nouveau millénaire, l'ancien principe politique de séparation des trois pouvoirs ou tripartition à l’image de la Cité Augustinienne : les oratores (ceux qui prient), les bellatores (ceux qui combattent) et les laboratores (ceux qui travaillent).
Mais pour 993, le récit de Richer, met grossièrement en avant son ambition et celle des supposés complices : le complot viserait à faire de l’empereur Otton III, le suzerain de la Francie Occidentale ; de Louis, fils de Charles de Basse Lotharingie, gardé sous surveillance à Laon, le roitelet de cette entité ; d’Eudes Ier de Blois, son dux des Francs (ce point n’est pas sans vraisemblance) et d’Ascelin le nouvel archevêque de Reims, la métropole rémoise étant alors paralysée par l’affaire qui y oppose les deux prétendants au siège, Arnoul de Reims et Gerbert d’Aurillac.
Il nous faut nuancer ce résumé caricatural. Ascelin, affecté par les troubles du royaume, se projette dans un nouvel empire carolingien (celui des Ottoniens) pouvant inclure des royaumes fédérés. Si cet empire est né de l’absorption du royaume d’Italie par le royaume des Francs orientaux (des Teutons), ensuite la politique impériale a toujours envisagé avec intérêt cette possibilité de maintenir des rois demeurant fidèles à ce qu’on appellera plus tard le sacrum imperium à la fois romain et germanique. C’est au tout début du XIe siècle, que ce concept sera porté aux nues par l’empereur Otton III et le pape Gerbert (Sylvestre II) avec la création des royaumes de Pologne et de Hongrie. Ce type d’échafaudage demeure toutefois fragile et dans les faits ces royaumes seront très autonomes. Une autre trajectoire est celle suivie par le royaume de Bourgogne : sous le règne de son dernier roi, Rodolphe III (993-1032), la tutelle de la royauté germanique se fera plus pesante et nous la verrons bientôt absorber l’autorité du roi rodolphien.
Les sources impériales sont, elles, muettes sur ce prétendu complot. Nous savons seulement qu’Otton III était de passage à Metz en 993. On ne sait dire si la cour en déplacement a pris au sérieux cette proposition, au mieux elle fut hésitante. Tout acte belliqueux d’Otton III reviendrait à contrevenir aux accords récents de 987 qui a vu l’avènement de Hugues Capet. Rappelons que le choix de ce dernier face à Charles de Basse-Lorraine par le clan Lotharingien et l’archevêque de Reims était sous-tendu par un engagement de rupture forte avec la politique des derniers carolingiens : le roi de Francie occidentale tourne le dos définitivement aux prétentions sur les terres septentrionales de l’ancienne Francie médiane (actuelles Lorraine et régions cisrhénanes du Benelux et d’Allemagne avec pour capitale Aix-la-Chapelle). La contrepartie pour le Robertien était de conserver cette autonomie dans les affaires de son royaume perdue en partie depuis le milieu du Xe siècle. Et pour répondre à la vieille historiographie, qui glosa longtemps sur ces événements, il suffit de donner factuellement la conséquence importante des négociations de 987 : entre l’invasion de 978 et la fameuse tentative d’invasion de 1124 – incluse dans le topos des études sur le fait proto-national - il s’est écoulé 146 ans, soit presque un siècle et demi sans franchissement conflictuel de la frontière entre les deux souverains !
Quoi qu’il en soit l’Empire ne bougea pas en 993. Néanmoins les rois prirent très aux sérieux cette affaire puisqu’ils intervinrent manu militari à Laon et emmenèrent en captivité Louis, fils de Charles, et Ascelin pour y être jugé à Orléans. Nous y reviendrons après avoir dépeint rapidement la dernière phase du conflit. Avec les dénouements d’Orsay et de Laon, Hugues Capet apparait en tout cas comme le vainqueur de la première phase de sa lutte avec Eudes Ier. Les faits d’armes s’éloignent du domaine royal et il peut reprendre la gestion des affaires religieuses du royaume en 993/994 : synode de Saint-Denis puis de synode de Chelles.
Vers 994, s’opère un rapprochement entre Richard Ier de Normandie et la maison de Rennes. Le jarl aide Geoffroy Ier de Bretagne à battre Judicaël de Nantes, qui lui était aidé par l’Anjou. Du coup, Richard arrête son soutien aux capétiens toujours en conflit avec Eudes Ier de Blois. En effet en 995/96, l’expansionnisme agressif angevin au nord de l’Anjou devient la première préoccupation du vieux comte de Rouen puis de son fils Richard II. Puis en 996/97, Richard II se rapproche encore plus de Blois en offrant à l’un des fils d’Eudes Ier, le cadet Eudes (qui avait reçu le comté de Dreux), la main de sa sœur Mathilde, avec en dot sa « moitié » de la châtellenie de Dreux, même si elle décèdera quelques années après, sans enfants.
Dès 994, Eudes Ier profite de ce contexte pour chercher l’alliance du Normand après s’en être assuré la neutralité ; on devine le même type de démarche qui l’anime auprès de son beau-frère Guillaume d’Aquitaine voire aussi avec les Flamands (Robert II avait répudié Rozala la mère du comte Baudouin IV et les Capétiens avaient tout de même gardé son douaire de Montreuil-sur-Mer).
En 995, le comte de Blois se sent suffisamment fort pour reprendre l’initiative dans la vallée de la Loire : c’est le long siège de Langeais où s’est enfermé Foulques Nerra ; ce sont les interventions du roi ; et finalement après une dernière trêve, la maladie et le décès d’Eudes Ier de Blois en mars 996. Le long conflit trouve là assurément son terme.
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Landry de Nevers versus Ascelin de Laon
Landry fut le fondateur de la dynastie comtale héréditaire de Nevers, un fidèle du duc robertien de Bourgogne Henri Ier, mais surtout du beau-fils de ce dernier, Otte-Guillaume, comte principal de Bourgogne. Landry était déjà fixé en Nivernais en 986, où son nom figure dans un acte de l’évêque de Nevers, avec la qualité de glorosius miles. Au plus tard en 990, il administrait le comté de Nevers par dévolution d’Otte-Guillaume qui portait alors la fonction comtale en Nivernais. Ce transfert fut fait avec l’assentiment du duc Henri. C’est vers le milieu de ces années 990 que Landry est uni à Mathilde, la fille du comte principal Otte-Guillaume – union donc prestigieuse avec cette descendante des Anscarides italiens. Landry dut avoir d’un premier lit[1] des fils (portant les noms traditionnels de sa famille : Landry, Bodon ou Robert), mais ils seront écartés des prétentions au titre comtal de Nevers, réservé aux héritiers à venir d’avec Mathilde (Renaud et Guy) – condition sans doute requise pour achever la dévolution du comitatus nivernais initiée quelques années auparavant.
Le caractère ambitieux de Landry est aidé par sa forte faculté à entretenir un réseau de relations avec les Grands de différentes principautés : côté robertien, ses relations avec Henri de Bourgogne l’introduisent à la cour de roi ; côté royaume de Bourgogne sa fidélité avec Otte-Guillaume le met à suivre ses relations avec la cour impériale, où le comte bourguignon a de nombreux différends :
Épouse d’Otton Ier († 973), mère d’Otton II († 983) et belle-mère de Théophano († 991), la vénérable grand-mère d’un Otton III encore jeune, a par la force des choses conserver son rôle et son influence politique. Adélaïde est une fille du roi Rodolphe II de Bourgogne, c’est l’artisane du rapprochement du royaume et de l’empire, le premier devant être un satellite demeurant dans une autonomie toute relative. Et il se trouve que pendant toute la durée de notre conflit à l’Ouest, elle assure une forme régence de juin 991 jusqu’à la majorité d'Otton III en 995. Même si son âge avancé ne lui permettait pas de suivre continument la cour itinérante de son fils qui passa par Metz en 993, c’est probablement vers elle que voulut au final se tourner Ascelin de Laon dans cette vision partagée qu’il avait avec cette « mère des royaumes (Gerbert) » : un ordre fait de royautés subordonnées politiquement à l’empire. Ne verra-t-on pas encore en 999, l’impératrice Adélaïde intervenir ainsi chez son neveu, roi de Bourgogne, où elle arbitrera souverainement les différends qui opposent Rodolphe III à son aristocratie (comte de Genève, comte principal, archevêque de Lyon…).
Toujours est-il que par ses connexions du côté d’Otte-Guillaume, Landry de Nevers a pu accumuler des éléments de preuve pour mettre en accusation Ascelin de Laon devant les rois capétiens. S’ensuit le procès dont nous avons deux précieux témoignages écrits : le récit de Richer et un poème de l’accusé lui-même, Ascelin. Ces deux sources s’éclairent mutuellement sans se contredire sur le fond. Ascelin reproche à Landry d'avoir fait échouer le rapprochement tenté entre capétiens et ottoniens, l'évêque voulant faire passer le royaume franc sous la préséance de l'empereur des romains et des germains afin de faire revivre l'unité de l'empire chrétien d'Occident. Mais les deux rois eux refusent catégoriquement toute idée de subordination politique de la Francie occidentale. Et Ascelin doit répondre devant un tribunal de cette trahison. Comme pour Saint-Basle de Verzy avec l’accusation contre Arnoul de Reims, accusateurs et défenseurs officiels font ici partie du clergé – Ascelin étant évêque. Mais à un moment, le témoin principal de l’accusation, Landry doit intervenir, et c’est un laïc. Lui répond un autre laïc, issu du camp de l’évêque de Laon, le ton monte et le duel entre les deux miles est évité de justesse. Ascelin de Laon semble n’être pas allé jusqu’au bout de sa plaidoirie, il la terminera a posteriori, après avoir recouvré sa liberté et sa fonction, au travers de son poème "Rithmus satiricus".
C’est à travers ce texte qu’on apprend que pour le remercier pour son rôle dans le conflit avec Eudes Ier et notamment dans l’intrigue d’Ascelin de Laon, Hugues Capet aurait confié le sénéchalat à Landry de Nevers. En effet, la satyre évoque l’union illicite de Robert le Pieux avec sa cousine Berthe, veuve d'Eudes de Blois. Cette affaire a débuté au cours de l'année 996, un peu avant la mort d'Hugues Capet (24 octobre 996) qui désapprouvait ce mariage pour des raisons politiques évidentes. Ascelin fait jouer à Landry le rôle d'entremetteur pour les rapprochements entre Berthe et Robert. Le mariage religieux fut célébré après la mort de Hugues Capet. Mais le pape Grégoire V intervient. Considérant cette union comme consanguine – consanguinité[2]de degré 3:3 depuis Henri Ier de Saxe, il proclame la nullité du mariage et excommunie les deux conjoints au concile de Rome en 998. Berthe aurait promis à Landry, pour récompense d'avoir joué le rôle d'architriclinus (ordonnateur) de ses noces, de lui céder la ville forte de Provins. Cependant elle n’aura pas tenu la promesse de lui donner la ville provenant de son douaire. Notons que Landry est qualifié architriclinus et est comparé à Eglon, roi de Moab. C’est de ce rapprochement, que de nombreux auteurs font de Landry un sénéchal (en latin dapifer)[3]. Et l’expression "multis est fastus dapibus" renforce cette supposition confirmant que le comte de Nevers occupait cette haute charge curiale chez Hugues et Robert.
En 997, Landry n’a pas obtenu Provins. Berthe, elle, n’a pas obtenu de mariage légitime. Et les fils de Berthe auraient dû de toute façon donner leur accord puisqu’alors, la gestion du patrimoine des veuves est plus étroitement contrôlée par leurs fils, même lorsqu’il s’agit du douaire.
En 1002, à la mort du duc Henri et au début de la crise de succession au sein de son duché de Bourgogne, on constate un comportement analogue. Landry offrirait son soutien au Capétien plutôt qu’aux fidèles d’Otte-Guillaume s’il récupère en contrepartie le pouvoir comtal à Auxerre. Son marchandage n’aboutit pas, et au début de ce conflit il met toute son énergie pour s’opposer au roi Robert II.
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Les filles du roi
Les sources écrites du haut moyen-âge sont très laconiques sur les filles de princes. Pour les filles du roi Robert II le Pieux, il est admis qu’on en ignore le nombre exact et donc le nom qu’elles portaient. Cela reste vrai si on prend le mot « filles » dans un sens élargi : fille issue d’un des trois mariages de Robert II, fille naturelle, belle-fille ou encore filleule.
Vers 995, le jeune Robert le Pieux répudie Rozala qu’il avait dû épouser quand elle fut veuve d’Arnoul II de Flandres, malgré l’âge avancé de la mariée. Mais ce mariage est resté effectivement stérile et Rozala est obligée de repartir en Flandre chez son fils Baudouin IV, sans pouvoir conserver la dot, le port de Montreuil-sur-Mer qu’avait obtenu Hugues Capet en 978. Fin 996, le second mariage du roi, même s’il ne sera pas entériné par l’Eglise, se fit avec Berthe de Bourgogne dont l’écart d’âge avec le jeune prince est déjà moins ample… Cette dernière avait donné au moins deux fils à Eudes, et ainsi prouvé ses capacités à concevoir. Car au-delà des raisons politiques ou des sentiments personnels, pour Robert, la prendre pour épouse, c’est d’abord dans la perspective d’avoir des héritiers. Si Berthe a été répudiée par Robert en 1003, après avoir résisté pendant plusieurs années aux pressions de l’Église, c’est d’abord parce qu’elle ne lui avait pas donné d’héritier mâle légitime[4].
Par ailleurs, Berthe, par sa mère, est petite-fille du carolingien Louis IV et de l’ottonienne Gerberge ; comme fille du roi Conrad III de Bourgogne, elle a le sang royal des Rodolphiens. Ses fils auraient une légitimité renforcée pour cette jeune dynastie Capétienne.
Finalement, il n’y aura pas de fils donné au jeune capétien, mais faut-il exclure de manière catégorique une fille (ou plus) qui serait née alors entre 998 et 1002 ?
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Une reine au pied d’oie ?
Analysons maintenant les éléments semi-légendaires à notre disposition. « Nous sommes aux alentours de l’an Mil. Un homme assiste à la messe assis sur les marches de l’église Saint-Barthélemy, sur l’île de la Cité, à Paris. Il s’agit de Robert II, dit le Pieux. Excommunié par le pape Grégoire V pour des raisons purement politiques, il lui est désormais interdit de pénétrer dans une église. Soudain, Abbon, abbé de Fleury, suivi de deux femmes, approche du monarque et exhibe sous ses yeux un monstre que le douteux ecclésiastique présente comme étant le résultat des amours « coupables » du roi avec Berthe de Bourgogne. Sur un plat vermeil repose un corps d’enfant mort-né apparemment doté d’un cou et d’une tête de canard » (Histoire de Paris : Le Diable Vauvert).
Le récit légendaire de la tête d'oie ou de canard n’est pas sans rappeler celui de la reine à pied d’oie. Robert le protecteur de l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon[5], y fut représenté en statue sur un portail, et en vis-à-vis il y avait une statue « de la reine Pédauque » (Pè d’Auca, pied d’oie). Idem à Provins[6], au cœur du douaire de Berthe : une statue-colonne retrouvée mais mutilée pourrait en être aussi un exemplaire.
Berthe de Souabe la grand-mère de notre Berthe est associée au dicton : « du temps que la reine Pédauque filait ». On cite aussi « du temps que Berthe filait », évoquant Berthe, épouse du roi de Bourgogne Conrad II, puis remariée à un Bosonide d'Arles et prétendant à la couronne d’Italie. Une autre légende dit à propos de la reine Pédauque de Toulouse qu’elle possédait « une quenouille merveilleuse, qui ne s'épuisait jamais, lui permettant de filer sans cesse ».
Berthe renvoie à Berchta ou Perchta, qui est, dans le folklore germanique, une divinité qui se matérialisait pendant les douze jours qui suivent le solstice d’hiver. Son culte même christianisé était encore vivace dans les régions alpines centrales (Souabe, Haute-Bourgogne, Bavière). Entre le 23 décembre et le 5 janvier, période où devaient cesser les tâches ménagères, cette fée remontait à la surface la terre pour vérifier dans les foyers qui s'était montré travailleur tout au long de l'année. Comme beaucoup de divinités liées à la nouvelle année solaire (cf. le Janus romain), elle est double, elle a deux aspects :
Berthe de Souabe, dite la Filandière ou la reine fileuse, apparaît comme sa personnification positive. Elle sera inhumée dans le chœur de l'abbatiale Notre-Dame de Payerne par sa fille Adélaïde de Bourgogne et laissera le souvenir d’une sainte dans la région. Son sceau la représentant en train de filer, fait référence à cette fée qui file la trame du destin de la nouvelle année dont chaque foyer l’espère de bon augure.
Mais Berthe de Bourgogne, elle, a failli dans son rôle de mère et dans celui politique de reine des Francs. Elle rejoint le cortège des reine Pédauque et des Berthe au grand pied. D’après le conte cité, elle est encore physiologiquement apte à concevoir, mais si le nouveau-né est une fille ou bien un garçon mais qui meurt à l’accouchement, elle ne peut renverser le cours politique des choses à son avantage.
Si elle eut une fille de Robert II avant sa séparation, celle-ci ne bénéficiera d’aucune « aura médiatique » et sera cantonnée au rôle d’une fille royale naturelle. Surtout si la venue de la nouvelle reine Constance de Provence pourra favoriser une forme d’ostracisme à son égard. Elle serait donc vouée à un mariage hypogamique à dessein politique, destiné à resserrer le lien d’un vassal du roi.
[1] Bouchard, 990
[2] Nous suivrons la notation utilisée par divers auteurs, notamment anglo-saxons (p. ex. le mathématicien et généalogiste Stewart Baldwin). On note pour chaque membre du couple le nombre de degrés qui le rattache à l’ancêtre commun (x:y). Par la somme x+y on retrouve le degré de consanguinité suivant le droit canon.
[3] Adalbero, Rythmus Satiricus, p. 1 sq.
[4] Santinelli, 1999, pp. 75-89 ; Duby, 1982, p.89
[5] Cointot, 2001
[6] Blum, 1990
Guillaume du Hainaut, père d’Amaury de Montfort (le prénom renvoie lui aussi à la province du Hainaut avec Aimery/Amulric de Valenciennes, fin du Xe s.) a donc pu profiter du conflit d’une manière similaire à Thibaud File Étoupe dans l’Hurepoix. Avec aussi un droit de fortification à Montfort près de Méré. Ce que confirme la Continuation d’Aimoin.
A la même époque, une fille d’Hugues Capet, Hedwige, épouse, Régnier IV de Mons dont la cour de France sert toujours d’appui. Toutes ces décisions renforcent l’alliance des Capétiens avec les Hainaut et cela est nécessaire surtout à la suite des événements de Laon en 993. Le roi montre que s’il le veut, il est en mesure de poursuivre une politique carolingienne d’interventionnisme en Lotharingie.
Plus localement, l’alliance bléso-normande qui commence en 997 et se poursuit au moins jusqu’en 1005 est un sujet qui appellera à la vigilance du jeune roi Robert. Dreux n’est plus source de tension entre Blois et Rouen et le roi compte alors pour assurer sa présence à l’ouest de son domaine sur les Montfort et aussi sur le nouveau comte du palais Hugues de Beauvais[1] qui a un rôle de « vicomte » à Dreux, de seigneur à Nogent et qui a contracté une union matrimoniale vraisemblablement avec une des branches des anciens comtes carolingiens en Drouais, possessionnée autour d’Épernon.
Cette stabilité relative perdure jusqu’en 1008 où surgissent deux crises qui sont toutefois liées : le refus d’Eudes II de rendre la dot de Dreux entraîne un nouveau conflit bléso-normand. Foulques Nerra qui était cadenassé par l’alliance préalable et inédite de ces deux grandes principautés territoriales en profite. Il fait assassiner le comte palatin, cousin d’Eudes II, qui tentait de rapprocher à nouveau le roi et Berthe au détriment de Constance, cousine du comte angevin.
C’est alors que Guillaume récupère Épernon et la charge de forestier royal en s’unissant vraisemblablement avec la veuve de Hugues de Beauvais, seigneur de Nogent. Le Continuateur d’Aimoin de Fleury (dans la version germanopratine la plus archaïque) nous dit : "... in tempore Regis Roberti benia [= Beynes] fuit de dominio San Germani. <Section grattée[2]> Ipse firmavit Montifortem et Sparnomum : quandam quoque dominam de Novigento [dame de Nogent] habuit uxorem."
Commentons. Ce texte est écrit plus d’un siècle et demi après les événements. Il doit être regardé avec une extrême prudence. De plus, il contient des passages qui ont été effacés ou grattés. Le commanditaire (l’abbé de Saint-Germain) aura voulu le réécrire pour mieux mettre en valeur son abbaye. Dans l’exemple présent c’est peut-être pour insister sur les restituions faites à son abbaye par la nouvelle puissance laïque. Mais ce travail de réécriture restera inachevé. Et justement ici, une section grattée intervient juste après le récit où le roi Robert traite de l’avouerie de Beynes avec le premier des Montfort.
[1] Bijard, 2018
[2] Bourgain, 1999
Extrait du manuscrit latin 12711, originaire de Saint-Germain-des-Prés (version G), qui part d’un texte d’Aimoin. On voit clairement des sections blanches ou grattées. Comme la partie qui précède « Ipse firmavit » qui devait contenir environ 5/6 mots et faisait référence à Guillaume de Hainaut. Dans ce manuscrit, les techniques de la spectrométrie appliquées à certains folios pourraient éventuellement permettre à l’historien de glaner de nouvelles informations.
Le souci est que, ce passage avec sa section supprimée, sera repris par la Grande Chronique de France provoquant une série de contre-sens en cascade. De fait, Robert II n’a pas fortifié Montfort et Épernon (il l’a autorisé) et n’a pas épousé de dame de Nogent. Et ils n’eurent aucun enfant nommé Amaury. Même si le lecteur des Grandes Chroniques savait inconsciemment qu’un lien de sang unissait Robert aux Montfort – nous y reviendrons un peu plus bas.
Comme nous l’avons vu dans un précédent article, ce n’est pas Nogent (le Roi) mais le douaire d’Épernon que récupéra Guillaume en épousant la veuve[1]du comte du palais.
La Continuation entraîne régulièrement d’autres approximations. Certaines perspectives chronologiques sont écrasées. Montfort et Épernon ne furent pas fortifiés en même temps. Si pour le premier site, il n’y a pas d’incompatibilité à ce que l’ensemble castral soit de la fin du Xe siècle, le choix radicalement différent fait à Epernon avec son donjon roman, date l’initiative après 1008. La tour en pierre bénéficiera des partis pris innovants du premier tiers du XIe siècle. Et si on ajoute Beynes et son wasserburger[2] (et même Houdan plus tardif), on voit que les Montfort savaient s’adapter aux temps et aux lieux en matière de castellologie.
Amaury fils de Guillaume (mais né d’un mariage antérieur à celui de 1008) a acquis un rôle primordial à la cour. Il est témoin de multiples chartes ou diplômes, les plus significatifs sont :
Enfin, d’après Orderic Vital, rappelons qu’Amaury Ier est bien un proche conseiller royal, donc officier palatial, acteur principal lors de la crise de succession au trône de 1031/32.
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L’énigme du premier Simon de Montfort
L’apparition du prénom Simon est un des mystères de l’onomastique du début du XIe siècle. Ce nom est totalement inusité durant les siècles précédents au sein de l’élite carolingienne. Le premier Simon attesté est le fils d’Amaury Ier de Montfort et d’une Bertrade. Le plus stupéfiant est qu’après ce premier Simon, l’anthroponyme se répand comme une traînée de poudre. Essentiellement dans le sud-ouest Parisien – étant donné les liens familiaux entretenus avec les Montfort ou par simple émulation vassalique – mais on voit ce prénom sortir largement et rapidement de ce cadre. On le retrouvera chez les ducs de Bourgogne, chez les Valois avec le célèbre Simon de Crépy.
Ce qui ajoute de l’épaisseur à ce mystère, c’est qu’a priori ce Simon ne renvoie à rien de convainquant qui puisse nous expliquer cet ‘effet de mode’. Ni personnage contemporain ou plus ancien, ni figure biblique ou patristique, et rien non plus du côté des milieux byzantins, même si ce prénom est alors en usage, surtout sous la forme de son paronyme Syméon.
Résoudre cette énigme c’est certainement lever un coin du voile qui entoure l’entourage royale du début du XIe siècle, un des objets de notre article. Pour cela, nous allons nous aider de la linguistique et de l’hagiotoponymie. Voyageons dans la moitié sud de la « Gaule » et observons certains noms de communes et certaines dédicaces antiques de paroisses :
Donc nous observons dans les parlers romans méridionaux une superposition des deux anthroponymes Simon et Sigismond. En fait, cette transformation s’est faite en deux étapes. Le nom originel est germanique Sigmund/ Siegmund. Mais dans les langues latines s’opère d’abord un affaiblissement de la sonorité gutturale donnant essentiellement Sigismond/ Sigismundo. Enfin s’opère un phénomène d’attraction paronymique vers un prénom connu par ailleurs et encore plus simple à prononcer. Ce phénomène d’attraction vers des noms d’origine sémitiques, helléniques ou italiques s’observent sur d’autres cas dès le Xe siècle. Pour citer un exemple qui va nous resservir Maginhard (forme germanique) donnera aussi Mainard/Mainier (forme romane affaiblie) ou Manassès (paronymie avec une figure vétérotestamentaire).
Ce phénomène va également se produire dans les régions du nord mais essentiellement sur des anthroponymes - et ce malgré la présence là aussi de nombreux lieudits ou dédicaces liés à Saint-Sigismond. Pour accentuer notre dernier propos, effectuons un bond dans le temps et dans l’espace :
Nous sommes avec le duc Simon de Lorraine entre 1115 et 1139. Un acte de 1128 du chartrier de Bleurville indique pour ce prince deux noms : Simon (souscription : signum Symonis ducis) et Sigismond[3] (formule de datation : imperante Lolario, duce Sigismundo). Ici nous ne sommes pas les premiers qui expliquons l'origine énigmatique du nom de Simon dans la famille ducale de Lorraine par une transformation du nom de Sigismond. Et de poursuivre le raisonnement en rappelant le culte saxon du roi des Burgondes[4] à la fin du XIe siècle, car la mère de Simon, Hedwige de Formbach, avait épousé en premières noces le comte saxon Gebhard de Supplimbourg.
Entre-temps, le phénomène avait déjà traversé le nord de la Francie. Après avoir rappelé qui est ce roi Sigismond ; nous devrons répondre à la question de pourquoi à ce moment de l’Histoire, il fut choisi comme nom de baptême. Autrement dit, quelle symbolique forte portait-il dans le premier tiers du XIe siècle ?
Sigismond fut roi des Burgondes de 516 à 523, fils de Gondebaud, il sera vénéré comme saint. Associé à la royauté en 513 avec le titre de patrice, il relève et fait agrandir la célèbre abbaye d'Agaune (d'ailleurs à partir de 1018, avec les restitutions de Rodolphe III, frère de Berthe de Bourgogne, commence à s’opérer la réunion du bourg et du grand monastère).
Le culte ancien de Sigismond ne se diffusa toutefois que lentement. Son essor semble dater de la fin du Xe et du début du XIe siècle, comme le montre bien le mouvement de diffusion de reliques ou de laudes regiae qui lui sont associés. Il y a donc concomitance entre un regain de son culte, la réapparition même altérée de son nom dans certaines familles et la décomposition progressive du royaume de Bourgogne appelé à disparaitre. Nous avions évoqué à la fin du siècle la tutelle de la royauté ottonienne toujours plus pesante et qui finit par étouffer l’autorité des rois rodolphiens. Ensuite en 1016, Rodolphe III vient à Strasbourg, où il prête un hommage de main à l’empereur salique Henri II. Le roi de Bourgogne promet à l’empereur de gouverner selon ses conseils et de lui laisser sa succession s’il devait mourir sans laisser un fils légitime.
Outre leur lien avec l’illustre lignage rodolphien, il y a naturellement dès cette époque, une prise de conscience de l’aristocratie d’origine haut-bourguignonne que leur royaume va être absorbé par l’Empire. C’est le début de revendications plus ou moins fortement prononcées. L'autel portatif de Gisèle de Brunswick[5], qu'il faut sans doute dater des environs de 1040, témoigne des ambitions d'un puissant lignage qui n'aura pas renoncé à incarner la suzeraineté de l’ancien royaume.
En 1018, Rodolphe III confirma et compléta les engagements qu’il avait pris à Strasbourg, en remettant sa couronne et son sceptre à Henri II. La royauté bourguignonne était désormais totalement soumise au pouvoir impérial.
Peu de temps après, dans les années 1020, naquit le premier Simon de Montfort. Et si son père Amaury n’a aucun lien avec la Bourgogne, nous devons chercher du côté de sa mère Bertrude ou Bertrade. Avant de faire l’hypothèse de son lien de filiation avec Berthe et Robert II.
Berthe avait au tournant de l’an Mil une double prise de conscience : celle de son illustre origine bourguignonne d’un royaume menacé et celle de son rôle fragile de reine de Francie.
Rappelons que Suavegothe, la fille de Sigismond fut une reine franque, en tant que seconde épouse du roi des Francs Thierry Ier, à Metz de 511 à 534. Le prénom de sa fille hypothétique Bertrade est bien sûr à rapprocher de son propre nom Berthe pour la racine « Bert » mais aussi de cette Bertrude qui serait une fille de Richomer nommé patrice de Burgondie en 607. Bertrude, morte vers 619, est une reine des Francs, en tant que seconde épouse du roi de Neustrie Clotaire II.
Si Guillaume, Amaury et Eve chez les Montfort renvoient au contexte paternel. Mainier et Ermengarde peuvent être aussi des références bourguignonnes. Pour Mainier les choix sont multiples on retiendra que les comtes de Genève, adversaires farouches un temps du rattachement à l’Empire et alliés d’Eudes II de Blois, rattachaient leurs origines à la famille des Regnier, Mainier/Manassès et Gilbert, qui fut comte principal en Bourgogne. Ermengarde dont nous reparlerons, est aussi un prénom que l’on trouve dans la lignée de ce dernier comte principal bourguignon. Enfin une autre Ermengarde épouse en 1011 le dernier roi de Bourgogne, Rodolphe III, frère de Berthe de Blois, pour qui c'est le second mariage. Et dont on sait qu’ils n'auront pas d'enfants.
Au travers de l’onomastique se devine donc tout le contexte de la royauté bourguignonne et au-delà tout un programme de propagande pour que celle-ci sauvegarde son indépendance. Eudes II de Blois fils de Berthe ira jusqu’à provoquer une guerre contre l’empereur. Une autre enfant de Berthe, sa fille Bertrade et son entourage, incarneront à leur manière cette revendication.
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Autres indices
Fidèle au roi, Amaury représente néanmoins un courant peu favorable à la reine Constance. Celle qui fut souvent en lutte avec le parti blésois et qui en tout cas incarne celle qui a pu ostraciser son épouse Bertrade. En 1028, la reine Constance intervient, une fois n’est pas coutume, dans l’élection de l’évêque de Chartres. Le candidat pressenti Albert est évincé par le roi et la reine. Et celui-ci est un ami d’Amaury, c’est lui qui viendra recueillir la donation de Saint-Thomas d’Epernon pour Marmoutier dont il est devenu abbé. Dès 1031, Amaury et Bertrade sont clairement dans le camp opposé à Constance d’Arles. C’est Amaury qui accompagne l’héritier légitime Henri Ier à Fécamp pour obtenir l’aide du duc normand.
Toujours en 1031, juste avant son décès, le roi Robert confirme dans un acte déjà cité une transaction pour des terres autour des Osmeaux (Drouais) pour un autre de ses gendres, Manassès de Dammartin. Le texte évoque des terres appartenant à Amaury qui semblent imbriqués dans celles de Manassès. Ce point remarqué par Donald C. Jackman fait[6] penser que l’Ouest de Dreux (ville qu’avaient en 1022 récupérée les Capétiens) était propice à la constitution de dots. En tout cas les Montfort, avec Amaury Ier, prennent pied autour de Houdan.
Son petit-fils, Amaury III de Montfort épousera en premières noces vers 1115 Richilde de Hainaut (qui n’a aucun lien de parenté proche avec Guillaume le Hennuyer), fille de Baudouin II, comte de Hainaut et d'Ide de Louvain, mais les époux durent se séparer en 1118 pour cause de consanguinité. Si l’épouse d’Amaury Ierest bien une fille de Robert le Pieux, on a bien une consanguinité du 7ème degré (4:3 par rapport à Robert II).
D’ailleurs les descendants d’Amaury peuvent prétendre aux unions les plus prestigieuses. Outre le comté du Hainaut, nous avons celui d’Evreux (Richardides), les grandes familles de Tosny ou de Broyes-Pithiviers. Mais la plus remarquable est celle de Bertrade, fille de Simon Ier de Montfort, qui épousera un comte d’Anjou. Avant de devenir la concubine du roi de France Philippe Ier, fils d’Henri Ier.
La consanguinité entre Bertrade sœur d’Amaury II et Philippe Ier est la plus grave que nous soyons amenés à identifier, elle est du 5ème degré. Soit 3:2 par rapport à Robert le Pieux - quand bien même la première Bertrade est demi-sœur d’Henri Ier. Le dossier est scabreux, en plus d’un double adultère on a un degré de consanguinité inférieur à 3:3 qui est déjà en soi une ligne rouge. Et il est donc qualifié par certain d’inceste pur. Ainsi Yves de Chartres, dans une des ses lettres (n° 211)[7] : “Propter quam accusationem, et patrati incestus comprobationem, excommunicatus est rex.”
Pour compléter notre faisceau de preuves citons les Chroniques de Saint-Denis puis les Grandes Chroniques de France : “Cit rois Roberz ferma le chastel de Montfort et d’Espernon. Une dame de Nojent ot espousée ; de cele ot un fil qui ot non Amauris.” La relation de cet événement est donc historiquement fausse. Mais cela ne choque pas aux époques où ce texte est écrit et lu car il contient une part de réalité mais dont les contours sont devenus flous.
Simon se diffuse rapidement parmi la grande et petite aristocratie du Sud-Ouest de la région Parisienne, et plus encore : dans l’Empire, comme on l’a vu ; chez un fils du duc capétien de Bourgogne mais là c’est le programme politique et idéologique bourguignon qui l’emporte ; chez le fameux Simon de Crépy par les femmes. La mère de ce dernier, Adèle de Bar, pour ses premières épousailles, fut l’objet de toutes les attentions en provenance des quatre coins du duché de Bourgogne (Bar-sur-Aube, Semur, Vignory, Joigny). La grand-mère maternelle de Simon et son époux Nocher de Bar (fl. 1040) ont favorisé l’implantation du grand monastère jurassien Saint-Claude sur les rives de l’Aube. D’ailleurs Simon de Valois finira sa vie comme moine dans cette abbaye située au cœur de la Burgondie.
[1] Dans une interpolation de la Continuation, vis-à-vis de la « dame » serait annotée la lettre E. L’interprétation courante en fait Elisabeth/Isabelle, sans doute par confusion avec Isabelle Bardoul mais qui vécut au milieu du XIe siècle. Nous verrions plutôt Eve, prénom qui renvoie à une autre Eve, la douairière du comté de Dreux avant que ce dernier, sans héritier, ne soit récupérer par le roi en 991. D’ailleurs le prénom Eve se retrouve parfois parmi la descendance des Montfort.
[2] Dufay, 2001. pp. 243-244
[3] E. Duvernoy, Catalogue des actes des ducs de Lorraine, Nancy, 1915, n° 64
[4] Littger, 1975.
[5] Corbet, 1991.
[6] Jackman, 2019. Nous reprenons à l’auteur certains arguments. Nous nous en différencions quant à l’instanciation proposée.
[7] Chartres - “Epistolae”, 211.
La famille de vassaux chartrains que l’on devine à la fin du Xe siècle à Gometz n’a laissé aucune trace écrite. Après le milieu du XIe siècle, des données apparaissent et nous pouvons travailler par méthode régressive. L’acte le plus important est la charte de Bazainville datée parfois de 1074 mais dont on s’aperçoit que la liste des souscripteurs fut modifiée. Et on peut alors, avec d’autres auteurs, remonter la datation de l’acte initiale d’une dizaine d’années.
Le roi Philippe Ier y confirma un don à l’abbaye de Marmoutier que fit : "Gauffredus [Geoffroy], saeculari miliciae mancipatus, » « cum assensu et auctoritate mee conjugis, nomine Ermengardis, [Ermengarde] necnon et filiorum meorum, Simonis [Simon de Neauphle] videlicet atque Amalrici [Amaury de Châteaufort] simulque Gauffredi, et fratris mei Ursi, Milonis quoque et Guidonis, meorum seniorum, de Caprosis, de quorum beneficio haec sunt »
Et dans la liste de souscripteurs : « S. Gauffredi de Gomet. S. Simonis, filii ejus. S. Amalrici, filii ejus. S. Gauffredi, filii ejus. <Hiatus - dans la première version figurait sans doute la signature de Guy Ier de Montlhéry.> Milonis, filii ejus [Milon II de Chevreuse dit le Grand]. S. Guidonis vicecomitis, filii ejus [Guy le Rouge vicomte de Rochefort]. S. Ursi [Ursion], fratris Gauffredi. S. Ernaldi Osalis Bastardi, filii ejus. S. Simonis, nepotis ejusdem Gauffredi. S. Mainerii, fratris ejus. S. Rorici, generi ejusdem Gauffredi, …, S. Galerani comitis de Melleni [Meulan], S. Gualcherii de Neaflo [Neauphle-le-Vieux], Hugonis Rufi de Castro-Forte [Hugues le Roux de Châteaufort.] »
Dans cet acte retouché, Ermengarde n’est pas ou n’est plus souscriptrice. Le lien familial avec les Montfort apparaît avec la souscription de Simon Ier et de Mainier (nepos[1]). Il y a bien un lien entre le couple Geoffroy/Ermengarde et Amaury/Bertrade mais qui a perdu de sa clarté. Les lieux cités par l’acte côtoient des terres des Montfort et la souscription de ces derniers est naturelle.
L’ordre des prénoms des fils de Geoffroy de Gometz est Simon > Amaury > Geoffroy. Prééminence est donnée aux noms montfortains par rapport aux noms chartrains. Ce qui s’explique bien si on lie l’épouse de Geoffroy à Amaury et Bertrade et à la nature hypergamique de ces deux unions. En tout cas Geoffroy n’est pas le pas le lien direct avec les Montfort, il est dit de ‘Gometz’ et a pour frère Ursion et pour parent Rorici.
L’aîné, Simon qui sera dit de Neauphle, est un des premiers exemples de réutilisation de Simon. Ce qui veut dire que ce dernier est plus jeune que Simon Ier de Montfort. Ce qui est confirmé par Orderic Vital parlant pour un événement de 1092 de « Simon juvenis » pour Simon II de Montfort, fils de Simon Ier ; et pour la distinction, de « Simon vero senex » pour Simon de Neauphle. Orderic[2] suggérant d’ailleurs le lien de parenté entre les deux mais indirects (les termes filius ou frater n’étant pas utilisés).
Si Milon le Grand et Guy le Rouge sont présents en tant que suzerains c’est au moins pour Versailles où trois prébendes sont données à Saint-Georges de Bazainville, nouveau prieuré de Marmoutier.
Les lieux de présence et d’influence des Gometz se concentrent désormais sur ses franges nord. L’acte de Bazainville cite aussi Béconcelles, Châteaufort et Versailles. Une autre source écrite (1052) permettra de relier les fils de Geoffroy - Simon et Amaury - à Versailles et à Blaru.
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Ors, Béconcelles, Neauphle et Blaru
Ors : Ursion/ Urson (Ours), frère de Geoffroy peut être relié au lieu-dit d’Ors en bas de Châteaufort, dans la vallée, où suivant une tradition locale l’étymologie de ce fief remonte à un seigneur Ursion.
Béconcelles (commune d’Orgerus). En 1064, notre acte montre que les biens et cette église étaient devenus la propriété de Geoffroy de Gometz qui est ainsi seigneur de Béconcelles, de Bazainville et de Versailles en partie. En fondant le prieuré de Bazainville, il réserve l’usufruit des droits qu’il prélevait sur cette paroisse en faveur de son frère Ursion de Gometz. Cependant, après la mort de celui-ci, ces revenus passèrent à l’archidiacre Guillaume, puis à Simon de Neauphle, neveu d’Ursion. Simon en fit l’abandon définitif devant Yves, évêque de Chartres le 13 mai 1098 (en une forme de rémission).
Blaru : en 1052 ou peu après, Amaury/ Aimeric de Versailles (et son épouse Ita) est un des suzerains d'Oudart de Vernon pour des biens sur la frontière Normande à Blaru (terres de Lietgarde de Vermandois dont elle confia donc une partie aux soins des Gometz). Il fait confirmer cela par Simon de Neauphle, son frère aîné et suzerain.
Neauphle : un mécanisme dichotomique fait encore apparaitre ici un site castral - Neauphle-le-Château près d’un Neauphle-le-Vieux. Son origine est difficile à retracer, mais le site le plus récent appartient à notre Simon de Neauphle et de Gometz, alors que le plus ancien se rattache à des Hugues, Gaucher, Richard en lien avec le comté de Meulan. Neauphle-le-Vieux devient un fief monastique. Un mariage politique a peut-être uni les deux familles. Une union qui restera un échec sur le plan personnel puisque Simon se fera remarquer par son adultère (voir la lettre de reproches que lui adresse Yves de Chartes). Ce second témoignage d’un rapport envers cet évêché démontre une fois de plus qu’en restant dans le diocèse chartrain, les Gometz y ont conservé leur influence moyennant fidélité à Chartres, contrairement à ce qui se passe dans l’évêché de Paris.
Neauphle est finalement, avec une partie de Châteaufort, la seule châtellenie restante aux Gometz. Leur influence au sud-ouest s’arrête désormais au Mesnil-Saint-Denis, où d’après Suger ils possèdent encore une partie de la taille.
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Retour à Châteaufort
Châteaufort est une localité située à cheval sur le plateau de Saclay et la vallée de Chevreuse (vallon de la Mérantaise, affluent de l'Yvette), en limite de département. Elle contrôle une voie de passage secondaire qui quitte cet embranchement de la vallée pour, par le plateau, rejoindre Versailles, mais aussi la route de Versailles à Chartres par Maurepas. Pour Michel Roblin[3], Jouy - Châteaufort - Chevreuse devient une route alternative pour Chartres de plus en plus utilisée (surtout, pourrions-nous rajouter) quand ces sites seront sous une même main, celle des Montlhéry, en évitant la plaine de Palaiseau et d’Orsay.
L’ancien ensemble castral n’est attesté dans les textes que vers 1068. Peu d’études ont été publiés sur ce château[4] : mais toutes aboutissent à une même conclusion, la grande forteresse à tours et enceintes avait un caractère tripartite – autour de trois tours maîtresses seigneuriales : le Donjon, la tour de la Motte et celle de Marly, qui ont conservé leurs fondations. Tripartition corrélée par les textes. Avant 1069, Gui Ier de Montlhéry est le seigneur dominant de Châteaufort mais c’est son frère Hugues qui y résidait principalement pour l’une des parties attachées aux Montlhéry sur le plateau. Au début XIIe siècle, Gui de Rochefort dit Le Rouge fut seigneur de Châteaufort, puis en 1108 son fils, Hugues de Crécy, grand sénéchal, prit ce titre et résida au Donjon. Et le Château de la "Motte" est toujours à la main des Montlhéry puisqu’on interprète qu’en ce lieu séjourna Milon II de Montlhéry lors de son assassinat tragique par Hugues de Crécy.
La partie restante aux Gometz, la plus ancienne, était donc gardée par Amaury fils de Geoffroy depuis le milieu du XIe siècle. Bâtie sur le sommet de la grande motte de Marly - site de l'ancien château de Marly - une maison bourgeoise s'élève maintenant à cet emplacement, avec deux niveaux et un étage de comble.
De l’analyse historique et géographique, il découle que Châteaufort avant d’être tripartite fut bipartite. Comme pour les sites de Gometz et de la Ferté, le lignage des Gometz avait fortifié l’éperon qui s’avançait sur la vallée dont on a dit qu’il en contrôlait la partie amont. Mais contrairement aux deux premiers castra étudiés (Gometz et La Ferté), le plateau par où on arrivait en remontant de la vallée n’étaient pas sous contrôle chartrain. Il était sous contrôle des premiers maîtres de Chevreuse et de Josas. Si les Montlhéry-Chevreuse devinrent seigneurs dominants ici, il faut y voir une des conséquences de l’affaiblissement des Gometz, sanctionné dès la fin du Xe siècle. En plus de ce rapport de vassalité « imposé », les Montlhéry-Chevreuse mirent sous contrôle la première fortification avec leur propre tour maîtresse édifiée sur leur juridiction, côté plateau. Elle est à la sortie de la voie qui débouche au nord depuis le château de Marly. L’emplacement du Donjon ne bénéficie d’aucun avantage naturel défensif, comme on peut encore le voir aujourd’hui. Mais là n’est l’objectif premier de son édification, il constitue un poste de garde voire de péage face à la porte du premier oppidum - dont on devine encore l’ancien fossé barrant l’éperon – il domine la place externe nord qui pouvait servir de lieu d’échanges (actuelles places de la Mairie et Saint-Christophe).
[1] Dans son sens le plus large en latin médiéval, on utilise ce terme pour désigner un parent plus jeune, que l’on souhaite rattacher au sujet en passant par un aïeul remarquable du premier, ici Robert et/ou Berthe. Cf. aussi Jackman, 2019, pp. 6-11.
[2] Vital, Livre X, Partie I.
[3] Roblin, 1951
[4] Châtelain, 1983
Figure – sur fond de carte Geoportail 3D – montrant de façon très synthétique les enjeux du complexe castral de Châteaufort au XIe siècle. Sur l’éperon, premier lieu d’habitat, on trouve le prieuré Saint-Christophe (4), et la motte de Marly (1) des Gometz. (5) montre la zone du système de défense primitif de l’éperon barré. Par la porte principale au nord, comme par la sente qui remonte le vallon, on se retrouve sur la place que domine la tour plus récente du Donjon (2). Elle ne bénéficie pas d’avantages naturels pour sa protection, d’ailleurs au XIIe siècle elle deviendra cette tour cylindrique massive et épaisse dont on voit encore quelques vestiges. Mais la motte (3) confiée aux cadets des Montlhéry permettait un second rideau de défense et de contrôle des voies d’accès. Enfin nous avons prolongé de quelques hectomètres avec une ligne bleue l’actuelle limite départementale : cet artifice suggère bien l’idée de démarcation seigneuriale qui coupait l’agglomération de Châteaufort. L’ensemble est d’abord une bipartition.
Souvenons-nous que le miles Amaury parraina la réfection d’une voire de deux églises confiées à l’abbaye de Bourgueil. En 1068 l’évêque de Paris et le roi confirmèrent ce dispositif. Si nous lisons attentivement les deux chartes du roi Philippe Ier, la topographie des lieux et les limites physiques des biens accordés au prieuré sont l’objet d’une minutie extrême, que traduit la complexité des droits pour cet ensemble castral (les mots sont soulignés par nous) :
Gui Ier de Montlhéry, sire de Chevreuse et Châteaufort, à l’instante prière d’Amaury et pour la rémission de ses péchés, concéda à l’église de Saint-Christophe de Châteaufort, à perpétuité et à l’abri de toute calomnie de leur part, la possession d’un dit fief ayant appartenu à la communauté des trois châtelains. Les terres qui le composaient et qui étaient contiguës aux fossés de Châteaufort, furent délimitées avec grande précision.
La seconde charte, émanant de Philippe Ier, nous apprend qu’un homme de distinction et très chrétien, nommé Amaury, donna à l’abbaye de Saint-Pierre de Bourgueil, pour le repos de son âme et de celles de ses prédécesseurs, l’église de Châteaufort construite en l’honneur de la Sainte-Trinité, de Saint Christophe et de tous les Saints, avec ses ornements, ses revenus et ses terres déterminées par leur enclos de murs, le tout du consentement de Guy et de Hugues, dans la mouvance desquels était aussi l’église. Il disposa en même temps en faveur de ce monastère de ses biens présents et à venir.
La charte de Bazainville ne montre plus aucun lien entre ce groupe socio-familial et la partie sud-est de leur honneur originel, c’est-à-dire la châtellenie de Gometz et ses alentours.
Plus surprenant, ne sont pas citées des figures associées à la seigneurie de Gometz et historiquement bien identifiées, précisément pour ce second tiers du XIe siècle :
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Guillaume Ier de Gometz
Sa première apparition est comme témoin d’une charte en mai 1043 où Henri Ier confirme les droits d’un certain milite Nivard et de l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés à “Equatam in finibus silve Aquiline sitam” [a priori Yvette, commune de Lévis-Saint-Nom], avec pour souscripteurs : "… Willelmi Corboilensis comitis, Ivonis comitis Bellimonits, Nanterii vicecomitis, Willelmi de Gomez…". Il signe juste avant le connétable et le bouteiller mais le mot de dapifer n’apparaît pas encore.
Vers 1045, Guillaume de Gometz, « Guillelmo de Gumetis castro » est dans le chartrain témoin dans l’acte cité plus haut extrait du Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois.
Dans la décennie qui suit, toute porte à croire que notre protagoniste apparait comme Guillaume le Sénéchal. « Willelmi seneschalci » est témoin du diplôme royal d’Hasnon en 1058 puis « Willelmi senescalci » l’est aussi d’une charte en 1059/60 d’Henri Ier pour Saint-Martin-des-Champs.
Avec l’avènement de Philippe Ier et la régence de Baudouin de Flandre, les offices palatiaux sont renouvelés. Le sénéchalat n’est plus entre les mains de Guillaume.
Puis nous retrouvons sur un acte de 1067, « Willelmus de Gomethiaco » dans un contexte chartrain. Et sur un diplôme à Melun, en 1067, « Guillelmus Giometensis castri ».
Sa dernière apparition, par deux fois, est à Corbeil. « Guillelmi de Gumeto » ou « Willelmi de Gunetho » et “...Guillelmi de Feritate...” (probablement son fils en charge de la Ferté-Choisel) souscrivent une charte de 1071 où "Buccardus [Bouchard II] Corbolensium comes" fit don d’une propriété à Saint-Spire de Corbeil.
Notons que son fils, “Junior Willelmus” confirma le don de l’église de Saint-Clair à Saint-Florent de Saumur pour l’âme de sa mère, Alberède de Montmorency, et de son père “patris sui Willelmi”, dans un document réécrit mais dont l’original doit être daté de mai 1081.
Étant donnée la chronologie, Hodierne est de la même génération que Guillaume – ce qui en fait sa sœur s’ils sont bien proches parents. Dans la Continuation d’Aimoin, elle se nomme Hodierne, dame de Gometz et la Ferté. Mais comme pour la dame de Nogent, cette appellation tardive n’a pas de valeur juridique probante, elle traduit ici son origine. Néanmoins, comme tout porte à croire que le second Guillaume de Gometz n’ait pas eu d’héritier, c’est par Hodierne que cet honor sera transmis à son fils Guy le Rouge.
Notons la charge émérite de sénéchal de Guillaume que nous n’avions plus identifiée depuis Landry de Nevers. ‘Guillaume’ n’est pas du tout un prénom que nous trouvons dans le milieu des miles chartrains, ni chez les Montlhéry-Chevreuse.
Parmi les descendants d’Hodierne (cf. tableau généalogique infra) on retrouve ponctuellement ce prénom avec d’autres prénoms remarquables que nous pouvons relier ensemble :
Quel est le chaînon manquant qui rattache Guillaume et Hodierne à Otte-Guillaume et Landry ? C’est en passant par un autre Guy que nous trouverons la piste la plus intéressante.
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Guy le Petit Bourguignon
Bien après 1005, le conflit de succession en Bourgogne terminé, Landry obtiendra une promesse de mariage royal pour son fils aîné Renaud avec Hadvise, fille du roi. Il sera effectif plusieurs années après, les promis étant encore de jeunes enfants. Hadvise apportera en dot les droits des capétiens sur le comté d’Auxerre ; ainsi le différend apparu en 1002 avec l’ambitieux comte est résolu.
Mais quid du bénéfice de Provins ou plutôt quelle compensation peut-il réclamer à Robert II ou à Berthe (et à partir de 1003 on peut retirer cette dernière de l’équation) ? Ou du rôle d’officier aulique, de dapifer qu’il a tenu avant la crise ? L’exemple de ce qui s’est passé à Auxerre pour Renaud de Nevers pourra fournir une idée. Landry a eu un autre fils issu de sa seconde et prestigieuse union avec Mathilde, le cadet Guy.
Pour Guy, les généalogistes du Grand Siècle dans la foulée d’André Du Chesne, identifient[2] sans nous en laisser hélas tous les éléments probatoires, l’officier de la cour royal du nom de Guy le Petit Bourguignon au fils cadet de Landry.
D’abord nous le voyons intervenir au moins deux fois en Bourgogne :
Il intervient au moins deux fois dans le domaine royal :
Même s’il n’est pas parmi les tout premiers, ce second document confirme un rôle à la cour. Mais quels biens fonciers peut-on attacher à cet office royal ? Car il est un fait à rappeler – tout officier s’appuie sur un honneur, ressort pour ses revenus, et que, pour des raisons pratiques, celui-ci ne doit pas être trop éloigné du cœur du domaine royal. On éliminera ainsi la basse Bourgogne ou le Provinois et on s’avancera sans prendre trop de risque en faisant l’hypothèse que Guy, extérieur au domaine, n’a pu avoir cet honneur que par décision du suzerain en regard d’un bien confisqué, ou par un mariage politique, ou par le détachement d’un honor encore aux mains du roi – l’un n’excluant pas les deux autres.
Enfin on rappellera à ce stade qu’au début du XIe siècle une des rares régions ayant pu subir des changements géopolitiques notables se situe autour de Gometz, sans en tirer encore de conclusion définitive.
Après 1031, Guy disparait de nos écrans. En tout cas, il n’apparait plus sous le nom que nous lui connaissions dans les années 1020/30.
Revenons à l’acte du Dunois établi après 1044 et posons-nous la question de l’identité de ce« Widone de Petraforti » qui y figure. Dans le bassin parisien,Rupes Fortis ou Petraforti sont les noms de Rochefort (en Yvelines) pour les textes latins médiévaux.
Alors qui est ce Guy de Rochefort ? On élimine d’emblée Guy le Rouge au vu de la datation trop haute. Mais on peut également éliminer Guy Ier de Montlhéry. Et ce, pour deux raisons majeures :
Reste-t-il des Guy que nous connaissions et pouvant faire partie de l’entourage royal ? Nous ne pouvons qu’évoquer Guy le Petit Bourguignon. Et si nous ne pouvons confirmer le lien réel entre ces deux protagonistes, nous n’avons surtout aucun élément – et c’est le plus important - qui nous permette d’éliminer cette piste de travail.
[1] Néanmoins les deux filiations onomastiques ont une origine commune, Guy, le roi éphémère de Langres en 888.
[2] Du Chesne, 1628 ; M. du Bouchet, Histoire généalogique de la Maison Royale de Courtenay, Paris, 1661.
Rochefort se situe également dans cette zone de marche séparant Parisii et Carnutes, sur les hauteurs dominant la haute vallée de la Rémarde. À une date indéterminée mais assez haute, s’est établi un poste de surveillance commandant la vieille voie de Paris à Chartres. Le toponyme révèle déjà une éminence formidable avec son vieil oppidum fortifié.
A l’époque carolingienne Rochefort était dans le comté d’Étampes qui était encore d’un seul tenant au début du Xe siècle. Puis, les Robertiens qui le contrôlèrent finirent par nommer un vicomte à Étampes et un autre à Rochefort au plus tard dans les années 1060 (pour Rochefort la première mention vient avec Guy le Rouge). Mais à quel moment ce démembrement eut-il lieu dans cette fenêtre de temps assez large ?
Il est difficile de la placer sous la période d’expansion blésoise (956-996), cela aurait eu pour risque de fragiliser la zone pour le duc Hugues Capet. Mais après, une fois la situation consolidée, son fils Robert II ou son petit-fils Henri Ier ont pu effectuer cette séparation.
Les avantages étaient alors triples :
Maintenant, faisons le lien entre ces différents constats et en regard du tableau généalogique proposé.
Nous avons identifié des marqueurs onomastiques (issus d'Otte-Guillaume), des marqueurs géopolitiques (secteur de Gometz-Rochefort) ou des marqueurs fonctionnels (les rôles d’officiers palatins qui ont tendance à se transmettre dans un même lignage) qui tissent un faisceau d’indices nous permettant d’avancer une première hypothèse :
Notons que le premier Guy puis Guillaume de Gometz font le plus souvent partie de la suite du roi dès que ce dernier est amené à souscrire un acte lié à la région chartraine.
A la génération suivante, Béatrice, fille d’Hodierne, fait l’objet d’une union à dimension politique pour la châtellenie d’Auneau, avec un Hervé lié aux vicomtes de Chartres et à Gallardon. Auneau aux confins de l’Etampois chartrain est donc l’objet d’un mariage typique sensé prévenir d’éventuels conflits territoriaux. Ces éléments nous confirment que la vicomté de Rochefort fut sous influence de la famille de Hodierne dès sa génération, donc bien avant l’apparition de Guy le Rouge son fils.
Ce scénario à ce stade est intéressant à retenir. Toutefois, pour l’asseoir définitivement parmi les hypothèses à ne plus négliger, il nous faudrait un autre type de marqueur qui l’étaye. Celui-ci devra être indépendant des marqueurs déjà listés.
Le prieuré clunisien de Longpont fut fondé vers 1061 par Guy Ier de Montlhéry et son épouse Hodierne de Gometz. Chacun ayant eu un double rôle à jouer dans cette édification. Les deux rôles que portera Hodierne mériteront d’être approfondis.
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Guy Ier de Montlhéry comme seigneur local
La basilique actuelle de Notre-Dame-de-Bonne-Garde occupe l’emplacement de l’ancienne église prieurale clunisienne. Elle se situe sur la rive gauche la vallée de l'Orge près de la voie antique de Paris à Orléans et tout près du château de Montlhéry. Elle est implantée sur une légère proéminence qui rend l’édifice visible de loin. La chaussée qui partait vers l’Est traversait la zone marécageuse par un ancien pont romain.
C’est donc Guy Ier en tant que seigneur de Montlhéry qui autorise la (re)construction d’une église à l’emplacement d’une ancienne chapelle mariale. Et une tradition contemporaine rattachait déjà cet endroit à un ancien lieu de culte druidique. C’est Guy Ier qui permet l’obtention de biens pour le prieuré dans l’ancien pagus de Châtre. Il garantit enfin au monastère une exemption de la justice seigneuriale.
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Guy Ier comme vassal de l’évêque de Paris
Pour que cet édifice soit une dépendance de Cluny, il faut que Guy Ier obtienne l’autorisation de son évêque suzerain. L’évêque de Paris est alors Geoffroy de Boulogne.
Ce qu’il fit sans difficulté nous disent les sources. En revanche, cet homme du nord n’a aucun lien avec Cluny – ce n’est donc pas Geoffroy qui a favorisé le rapprochement entre l’abbé Hugues de Cluny et un seigneur de son diocèse.
D’ailleurs, en 1061, nous sommes alors en pleine régence. Henri Ier est mort et son fils Philippe Ier est encore trop jeune pour gouverner seul. Son oncle maternel, le comte Baudouin V de Flandres assume ce rôle. Cette régence demeure elle aussi à l’écart des réseaux d’influence clunisienne.
Il est souvent admis que Hugues, abbé de Cluny, est venu à l’enterrement du roi Henri Ier en 1060 puis aurait entretenu des liens avec la cour royale. Il aurait mis à disposition son rôle diplomatique pour le jeune roi et le régent vis-à-vis de l’empire et de la papauté. C’est tout à fait possible. Mais rattacher cet événement à la fondation du prieuré de Longpont n’est pas concevable.
Hugues de Cluny a pu croiser les grands feudataires franciliens à la cour, mais pourquoi favoriserait-il auprès de Guy Ier de Montlhéry la fondation d’un prieuré ? De plus, ce serait le premier prieuré clunisien au nord de la latitude d’Orléans, ce qui serait remarquable. La fondation la plus septentrionale de l’Ordre de Cluny est alors le prieuré nivernais de la Charité sur Loire fondé à peine plus tôt en 1059, et sur lequel nous reviendrons.
Exemptions, immunités (potestas sancti loci) : le pape est le dépositaire de ces protections pour tout l’ordre clunisien. Il confère aux moines la libertas romana qui libère la célèbre abbaye des obligations temporelles. Réciproquement, Cluny, peut intercéder auprès de la papauté à Rome. Et acquérir les statuts de l’Ordre clunisien et ses avantages ne se fait pas d’une simple requête, des exigences et des gages sont nécessaires.
Guy Ier, seul, n’est pas un interlocuteur suffisant pour fournir au saint abbé des garanties pour le respect des obligations d’un établissement clunisien. Nous devons chercher ailleurs le déclencheur qui a permis à Longpont d’obtenir ce statut.
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Hodierne comme figure mythographique
Le prénom Hodierne fait partie de ces appellations inouïes qui apparaissent au XIe siècle, le prénom dérive d’une expression latine signifiant « de ce jour ». Hodierne fut vénérée comme une sainte jusqu’au milieu du XIXe siècle, localement sa mémoire fut conservée avec soin génération après génération[1]. Un cas de figure assez rare parmi toutes les figures féminines sanctifiées à l’occasion d’une fondation religieuse. Nous observons également qu’un miracle (récit hagiographique de la Croix Rouge Fer) lui fut attribué ainsi que des guérisons de fiévreux à la fontaine qui porte son nom (source Hodierne ou source du Mesnil).
L’endroit fut reconnu comme ancien lieu de culte celtique. L’antique source des druides a été englobée dans l'église, entre l'abside et la croisée du transept, et fut appelée ensuite source des moines. Son débit ne fut pas cependant suffisant et on dut utiliser aussi la source du Mesnil. Selon la tradition que confirment des indices matériels, la source des druides incluse dans l’église fut bouchée lors de la destruction de cette partie de l’édifice en 1819, elle coulait encore en 1942. Lors des travaux de reconstruction de 1875-1878 dans la croisée du transept, un roc tabulaire a été trouvé identifié comme autel celtique face au chêne sacré qui serait à l’emplacement de l’abside. Ce dernier point n’étant qu’une simple conjecture.
Pour revenir à Hodierne et à son hagiographie, elle aurait participé elle-même au chantier. Depuis la source à son nom, elle portait seule de l’eau pour l’apporter aux maçons. Pour éviter la fatigue, elle demanda au forgeron de lui fournir une barre de fer afin de mieux porter ses seaux. Celui-ci forgea de ses outils une barre rougie au feu et influencé par sa femme la tendit à Hodierne avant qu’elle ne refroidisse. Mais la dame fut épargnée de toute brûlure. Quant au forgeron et à sa femme, ils moururent dans l'année. Le fer miraculeux fut conservé et monté au sommet d’une colonnade gallo-romaine. Depuis lors une malédiction frappe ici la corporation des gens à marteau. La Croix Rouge Fer, toujours visible, est conservée au fond de la basilique depuis 1931.
On peut associer Hodierne à la christianisation de ce lieu comportant encore des traces de paganisme.
Sucellus est la divinité gauloise au maillet et au chaudron, protecteur de la fécondité, il faisait jaillir les sources sylvestres en frappant le sol de sa masse. On le représente sous la forme d'un homme d'âge mûr, portant un maillet et parfois un chaudron. Autant de symboles qui apparaissent en filigrane du récit miraculeux qui concerne Hodierne. Le thème de la fécondité est aussi constamment présent en ce lieu avec les avatars de la Vierge qui enfante.
Hodierne dont a oublié le nom de baptême et qui porte un nom d’usage lié « à ce jour » nous apparait telle une figure solaire qui doit effacer les restes de paganisme. Elle chasse par son miracle les représentations des anciennes divinités chtoniennes encore présentes à Longpont. Seule pourra demeurer la déesse-mère ou mutatis mutandis, la « Virgini Pariturae » et finalement la Notre-Dame.
On retrouve d’ailleurs le culte de cette vierge qui va enfanter à Rochefort et à Chartres.
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Hodierne comme descendante de Mathilde
Si nous suivons la Gallia Christiana, c’est Hodierne, elle-même, qui négocia avec Hugues de Cluny : « elle alla à Cluny pour obtenir de l’abbé un certain nombre de moines ; et elle fit présent à l’abbaye d’un calice d’or de trente onces et d’une chasuble précieuse ». Selon ce récit, saint Hugues semble hésitant mais finit par accorder à Hodierne et Guy les religieux demandés et par ratifier le statut de prieuré clunisien à Longpont. Toujours selon cette source, c’est encore Hodierne qui ramena de Cluny les vingt-deux premiers moines.
Comparons avec le prieuré Saint-Martin-des-Champs de Paris. En 1071, soit 10 ans plus tard, c’est d’abord 13 chanoines qu’il faut remplacer. C’est plus tard dans sa plus grande extension, qu’il y aura près de 70 moines. Le prieuré de Longpont à ses débuts n’a rien à envier à ce qui sera la « seconde fille de Cluny ».
Avant la croissance des années 1080, les fondations clunisiennes dans le nord et dans le bassin parisien sont encore rares et prestigieuses : outre Paris, il y donc la Charité-sur-Loire, la première fille clunisienne, aux pieds des collines bourguignonnes. Un peu avant 1079, mais bien après la fondation de Longpont, nous avons avec Simon de Crépy, que nous avons déjà croisé, dans les Yvelines, près de Mantes le petit établissement clunisien de Saint-Anne de Gassicourt. Simon de Crépy fonde également à la même époque le prieuré plus conséquent de Saint-Arnoul à Crépy-en-Valois.
Revenons à la « fille ainée » de Cluny, le prieuré de la Charité-sur-Loire. Sa charte de fondation et des sources du XIIe siècle, exposent les conditions de construction du prieuré : c’est l'évêque d'Auxerre Geoffroy de Champallement qui offre (avec la noblesse locale) avant 1059 à l'abbé Hugues de Cluny des biens nécessaires pour entrer dans l’Ordre. Le tout avec l'assentiment du comte de Nevers Guillaume Ier. Guillaume de Nevers, garant dans le diplôme de fondation du prieuré, est le fils du comte Renaud et d’Hadwige, c’est le petit-fils de Landry de Nevers et de Mathilde. Il est ainsi le cousin germain d’Hodierne.
Les liens entre Cluny et les descendants de Mathilde sont multiples.
Nous avons déjà vu avec Guy le Petit Bourguignon, les actes de Beaumont-sur-Grosne et de « Gibaldus ». Il y avait eu auparavant dans la famille une autre donation après 1010 mais seulement y figuraient dans l’acte Landry et Renaud.
Ces rapports se poursuivent après les deux fondations importantes de Guillaume de Nevers et d’Hodierne.
Et en particulier chez les Montlhéry. Par exemple citons deux personnages qui joueront un rôle de premier ordre au sein de l'abbaye de Cluny au XIIe siècle sous l'abbatiat de Pierre le Vénérable : l'un, Hugues de Crécy, fut l'ambassadeur de l'abbé et figurera comme chambrier dans quelques chartes de Cluny et l'autre, Hugues de Montlhéry, sera élu abbé au cours de l'hiver 1157-58.
Concluons donc en disant que c’est Hodierne qui en visitant Hugues de Cluny lui donna les garanties suffisantes pour confirmer la fondation du prieuré. La principale était de pouvoir engager toute sa parentèle dans cette transaction. Le respect des potestas et libertas clunisiennes impliquait non seulement Hodierne et son époux, mais aussi la solidarité de toute sa parentèle ; à l’horizontale, ses cousins dont le comte Guillaume de Nevers, et puis à la verticale, avec ses héritiers. Pour notre regard contemporain il est difficile d’appréhender de tels serments qui se passent de l’écrit, d’autant plus qu’ils ne sont pas centrés sur la personne, l’individualisme ne peut exister dans cette société. Mais de tels engagements tirent derrière eux des liens socio-familiaux qui touchent à plusieurs branches sur plusieurs générations. En définitive, pour Longpont ce fut une réussite. Et cette fondation confirme l’ancrage niverno-bourguignon dans la région.
[1] Reale, 1957.
Parlons rapidement du sud-est du domaine avec l’Orléanais et le Gâtinais. Orléans, est alors la ville principale des capétiens (sedes regni), mais derrière ses remparts tardo-antiques elle est très souvent épargnée par les conflits. Outre sa taille et sa relative richesse, son rôle était fondamental du temps de Hugues le Grand, elle était au centre des trois regum, des trois duchés (Franc, Bourguignon, Aquitain) sur lesquels le Robertien avait des ambitions égales. Nous avons brièvement rappelé qu’à l’est de Pithiviers, la région du Gâtinais fut impactée par le conflit[1].
Puis en remontant au nord, c’est toute la frange orientale des comtés de Melun et de Corbeil qui en fut affectée, face aux terres de d’Eudes Ier (Provinois) mais aussi de son cousin Herbert de Troyes (comté de Meaux). On atteste par exemple la présence de Eudes Ier à Meaux avec ses milites vers 995 (d’après la chronologie confuse de Richer, Liv. IV, Ch. LCXIII) donc pendant le long siège de Langeais. Il est chez son cousin, et le Meldois apparait comme une sorte de base arrière pendant une des trêves négociées entre le comte et le roi.
L’archéologie aérienne[2] a permis pour la première fois d’identifier clairement un système de défense archaïque autour de la Haie de Nangis. Ce toponyme incarne la pointe de la frontière (Lagny-sur-Marne/ Rozay-en-Brie/ Nangis/ Montereau-Fault-Yonne) séparant les deux Brie. La future Brie française centrée autour de Melun est fidèle à la couronne, la future Brie champenoise axée sur Provins relève des comtes de Blois. Mainte fois refaite, son apparition remonte certainement à la fin du Xe siècle, en corrélation avec les luttes qui opposèrent Bouchard de Vendôme et Eudes Ier, comte de Provins. Cette ligne de défense était faite de fourrés d’épineux, de palissades et de petits étangs, le tout d’une épaisseur d’environ 200 mètres et placé en arc de cercle à l’est du bourg de Nangis, légèrement en retrait de la frontière franco-champenoise ; avec deux postes avancés : le Vieux-Château au Nord-Est et la Petite-Bertauche à l’Est.
En continuant au nord, nous entrons dans le comté et l’évêché de Meaux.Dans le premier quart du XIe siècle les évêques de Meaux s’émancipent progressivement du pouvoir laïc avec l’aide de la royauté. C’est là un outil puissant des Capétiens pour étendre leur influence. Après avoir supprimé l’influence que les Thibaldiens avaient sur le siège de Bourges, ils lutteront, souvent avec succès pour faire de même ailleurs (Beauvais, Chartres, Reims, Châlons). Seul le siège de Troyes demeurera toujours hors de leur portée. Dans ce XIe siècle commençant, le roi Capétien portera son attention sur le siège de Meaux.
Quand Eudes II, fils d’Eudes Ier, sera finalement confirmé comte de Meaux, en 1025, c’est après d’âpres négociations avec le roi[4] notamment sur l’organisation du pouvoir dans le Meldois. Il a dû trouver des solutions pour conserver son influence dans ce comté, surtout dans sa moitié Ouest qui touche au domaine royal.
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Dammartin-en-Goële
Ce n’est pas un hasard si apparait à partir de 1023 un nouvel honneur comtal dont le siège est à Dammartin-en-Goële et qui est issu du démembrement du comté de Meaux. Eudes II en investit Manassès de Dammartin issu d’une famille comtale connue, les Ramerupt. Ainsi il confie à ce cadet qui lui est fidèle la gestion d’un espace qui commençait à lui échapper où il n’hésite pas, sous la pression de l’évêché et de la couronne, comme en Beauvaisis à déléguer son comitatus. Ce nouveau bénéfice est intéressant sur le plan stratégique, car il apparait comme un coin qui enfonce les terres toute proche du domaine royal et son axe stratégique nord-sud[5] passant par la plaine de la Petite France. Initialement ce néo-comté avait une juridiction sur toute la face occidentale de l’ancien comté de Meaux, et son influence touchait au Nord de la Marne toute la Goële et Iverny, sur le fleuve, entre les grands domaines abbatiaux, Gournay et Pomponne ; plus au Sud, le castrum de Crécy-en-Brie, puis Mortcerf jusqu’aux abords de Rozay.
Nous avons admis que Manassès avait épousé Constance, « fille » de Robert II et de la reine Constance. Cette union dans le cadre des négociations de 1022/24 offre à Robert II le Pieux des gages quant au comportement de Manassès vis-à-vis de sa nouvelle position menaçante. Par ailleurs, nous avons vu que cela permit au premier comte de Dammartin, par récupération de dot, d’exercer son influence plus à l’ouest au sein du domaine royal. En 1031 Manassès pourra se mêler aux affaires de la cour et soutiendra sa belle-mère Constance dans la guerre civile pour la succession au trône - la reine ne reconnaissant pas l’avènement de son fils Henri Ier comme seul détenteur de la couronne.
De son union hypergamique, naîtront des enfants portant des noms robertiens : Hugues et Eudes. L’un des deux, peut-être Eudes, aura une fille avec également un prénom de baptême royal, Adélaïde.
Suivons son parcours, car même s’il est au-delà de notre période d’étude, il est révélateur des rapports au sein du domaine royal. Adélaïde, avec comme dot la ville fortifiée de Crécy épouse d’abord Bouchard II comte de Corbeil. Devenue comtesse de Corbeil, elle se fait appelée aussi Elisabeth, ce qui renvoie à la célèbre épouse du premier Bouchard. La tentative folle du comte de Corbeil, qui selon Suger s’opposait roi comme d’égal à égal, semblerait indiquer que ses prétentions proviendraient en grande partie de sa femme Adélaïde-Elisabeth. Ce qui confirmerait que sa grand-mère, Constance, femme de Manassès de Dammartin, serait une fille de Robert II et de Constance d’Arles.
Bouchard II meurt dans sa rébellion, et dans les années 1070, Adélaïde-Elisabeth convole avec Guy Ier de Rochefort dit le Rouge, fils de Guy Ier de Montlhéry et d’Hodierne. De cette union naquit notamment Lucienne. Et elle sera promise au roi Louis VI à une période où les Montlhéry tiendront la dragée haute à la royauté.Il y a une consanguinité de degré 3:4 entre les fiancés. Et Suger se fait l’écho des opposants à ce mariage qui invoquent entre autres cet argument. Finalement Louis VI et son père Philippe Ier abandonneront ce projet.
Cette histoire boucle la série des unions trop consanguines des premiers capétiens et qui y mêlait de plus en plus cette aristocratie francilienne. Pour sa préservation, la royauté devait se remettre en cause et retrouver les alliances exogamiques nécessaires à son rayonnement.
[1] Pour plus de détails : Bijard, 2019.
[2] Jalmain, 1970, pp 113-118.
[3] Bur, 1977.
[4] Sur le caractère habituel de ces tractations à grande échelle entre Eudes II et Robert II, observons en 1015 : Beauvais, Sens, Montereau, Sancerre ; puis à partie de 1022 : Troyes, Meaux, Reims, Dreux et l’office palatin.
[5] Thuillot, 2019.
En conclusion de nos travaux il est tentant de relire des ouvrages de références traitant de la cour royale (la curia regis) qui couvre la période étudiée, comme par exemple celui de Jean-François Lemarignier[1] et voir quels éclairages nouveaux peuvent être apportés.
Le premier point qui interroge est la date de 987 : constitue-t-elle réellement un point de rupture ? Sous les derniers carolingiens : le resserrement local du ministerium regis existait déjà. Ce n’est pas le comte de Flandres ou celui de Vermandois qui fréquentent assidument la cour de Laon malgré une certaine fidélité, mais c’est un seigneur de Roucy, véritable bras droit armé des rois Louis IV et Lothaire. Roucy était le barycentre de « l’Île-de-France Carolingienne » dont l’axe fut Compiègne-Laon-Reims.
Raynald de Roucy est bien celui qui a su offrir l’aide et le conseil attendus (auxillium et consilium) au suzerain carolingien même s’il n’est ni prince territorial ni évêque. Son ascension sociale se traduit par plusieurs événements – une inféodation autour de Roucy puis une autorisation de fortifier la place ; un mariage hypergamique remarquable avec Alberade de Lotharingie et enfin une promotion d’importance avec le bénéfice du comitatus de Reims.
Autant de phénomènes caractéristiques qui nous sont familiers et qui se confirment après 987. Ce qui évolue, c’est la multiplication des vassaux/ conseillers royaux et l’atomisation de leur bénéfice à l’échelle du pagus au sens restreint puis de la châtellenie. Les opportunités de mariage nettement hypergamique se rétrécissent. Mais les grands miles franciliens se prévalent d’incarner la continuité avec d’anciennes élites : familles comtales carolingiennes de Chambly, de Vendôme, de Corbeil, de Dreux, de Ramerupt ; relations lignagères avec les Anscarides, les Thibadiens et bien sûr les Robertiens ; grandes familles de feudataires : Milonides, Rorgonides chartrains, Le Riche, Aubry-Gautier.
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Offices curiaux
L’autre point à réinterroger est notre vision du gouvernement royal pour voir si la fin des années 1020 constitue un autre point d’inflexion notable. Après la disparition des comtes Bouchard de Vendôme (premier conseiller de Hugues Capet) et de Hugues de Beauvais (premier conseiller de Robert II jusqu’en 1008), une nouvelle génération d’officiers du palais (proceres palatii) va progressivement émerger.
Autant que les quelques sources à disposition nous l’apprennent nous avons :
Sur l’aspect constance ou permanence à la cour au travers de la régularité des souscriptions des actes royaux, il faut rester prudent. La notion de division du temps et du calendrier est alors importante. Un vassal gardera le château de son suzerain un certain laps de temps clairement déterminée dans l’année. La participation à son ost obéit aussi à des règles de durée. L’utilisation de certains droits, comme le gîte est normalement limitée, etc. Il en va de même encore au début du XI siècle pour les fonctionnaires de la cour, les palatins qui doivent conserver de leur temps pour administrer leurs honneurs fonciers.
Nous n’avons pas encore la familia regis qui apparait à la fin de ce siècle, cette communauté de vie des intimes conseillers royaux[2]. Suger qui écrit avec les mots du XIIe siècle évoque pour notre Guy le Rouge de Rochefort quand il acquit le titre de dapifer « comme par suite d'une familiarité ancienne, et pour d'autres raisons encore, ce comte avait été sénéchal… ». Les autres raisons on les devine, elles sont liées au rapport de force mis en place par les Montlhéry. Mais les familiarités anciennes rappellent le fait que ses aïeux par sa mère avaient obtenu cette charge même si l’idée de familier du roi n’était alors qu’embryonnaire.
Pour reprendre le fil conducteur général de notre article, il apparait que ce sont par les principales crises (978, 991, 1003 pour les confins de la Bourgogne) que ces groupes socio-familiaux ont su saisir les opportunités qui surgissent généralement avec les événements les plus graves.
Orléans, à l’écart des conflits, a ses miles palatiaux - les Beaugency dont on sait qu’ils ont un accès immédiat au sens propre à la cour, ou la famille importante des Albert-Hervé n’eurent jamais la même ascension politique dans le cadre de charges et de responsabilités auliques. A contrario, l’exemple du Vexin de la fin du siècle, de par sa position critique en face de l’espace anglo-normand bénéficiera d’une nouvelle génération de proceres palatii (chambellan ou connétable) recrutée localement.
Que peut-on dire d’ailleurs des titres des officiers et des curiales ? Peu de chose si ce n’est que la fonction précède toujours l’écrit. Les diplômes et les actes sous Henri Ier se débarrassent progressivement des anciens modèles et gabarits carolingiens. Les bouteillers, sénéchaux, ou chambriers apparaissent dans les souscriptions. Mais ces offices existaient préalablement. Ils apparaissent enfin parce qu’on a renoncé à mimer le palais carolingien. Ils peuvent s’afficher car les anciens offices plus illustres ont disparu.
L’archichancellerie traditionnellement réservée à l’archevêque de Reims, malgré un dernier baroud d’honneur du prélat manceau Gervais, a été vidée de sa fonction. Une chancellerie royale et locale, qui ne recrute plus parmi les grands prélats, s’est mise en place avec un mode de fonctionnement qui sera éprouvé sous le chancelier Baudouin.
Le titre de comte palatin devient de plus en plus honorifique. La responsabilité aulique que véhiculait ce titre a disparu même si dans les grandes assemblées, quand Eudes I puis Eudes II de Blois est présent, le comte du palais signe en premier dans la liste de souscription des comtes. Et la jeune dynastie capétienne a évité la menace qui serait qu’en cas de carence du pouvoir, les comtes de Blois et Champagne se mettent en position de régent du royaume en se prévalant de cette dignité. D’ailleurs les rois n’avaient cessé d’affaiblir la portée de ce titre. Hugues Capet s’assura comme on l’a vu que le titre de dux Francorum ne puisse faire l’objet d’un accroissement de dignités pour les Blois.
Robert II porta le coup fatal en autorisant Richard II de Normandie à porter le dernier titre de duc, au sens carolingien du terme. Il est devenu dux Normannorum à partir de 1006 grâce à sa contribution qui fut encore décisive dans la crise de succession bourguignonne.
Dès lors il n’y avait guère plus de place pour un nouveau duc des Francs.
[1] Lemarignier, 1965.
[2] Bournazel, 2000.
Version du 2 Mai 2020 (initiale)
Version du 30 Août 2020 : corrections éditoriales ; utilisation du terme comte principal en Bourgogne au lieu de comte palatin ; précision sur le terme nepos pour Geoffroy de Gometz ; création de la section bibliographique et mises à jour des notes de bas de page.
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